lundi 11 juin 2018

Inspiration - Film : Mutafukaz

J'ai vu ce film dernièrement au cinéma, Mutafukaz, une bonne claque. Je voulais voir "Solo" mais il m'a semblé plus urgent de voir Mutafukaz qui est très peu distribué et dont le renouvellement en salle se fait semaine après semaine. Donc je ne voulais pas passer à côté. Et j'ai eu raison car c'est vraiment un très bon film d'animation, moderne, distrayant, original et plein d'inspiration pour notre univers de jeu.




Ce film d’animation déjanté est une adaptation réussie de la bande dessinée éponyme de Guillaume « Run » Renard. Situé entre le manga, la BD psychédélique et le dessin animé d’aventure, le film tente de réinventer une esthétique de l’animation. Hélas, le scénario s’égare dans une représentation du monde résolument vulgaire et décadente, doublé de dialogues stéréotypés.

On reconnaît sans peine, derrière l’apparente fantaisie de Mutafukaz et la paranoïa adolescente qui constitue le principe même de son récit, la transposition d’un Los Angeles tel que le cinéma hollywoodien a toujours dépeint cette ville, avec son architecture particulière, ses guerres de gangs, l’étrange sensation d’irréalité et de folie qui s’en dégage.

Refusant l’image de synthèse au profit des techniques d’animation traditionnelles, adapté d’une série de bandes dessinées de Guillaume « Run » Renard, puisant aux sources du film noir tout autant que de la science-fiction (L’Invasion des profanateurs de sépultures, de Don Siegel, les longs-métrages de John Carpenter, etc.), le film de Shojiro Nishimi et Guillaume « Run » Renard se distingue autant par sa richesse visuelle que musicale. En effet, la grosse claque de ce film, c’est son parti pris graphique. Avec un dessin proche du trait expressif de la BD, une animation 2D ultra soignée, de décors plein de détails et une atmosphère solaire, Mutafukaz le film est dans la droite ligne de la bande dessinée. La musique omniprésente de Toxic Avenger colle aussi à l’esprit, bizarre et rigolard, et les voix d’Oreslan (Angelino) et surtout de Gringe (Vinz) fonctionnent à merveille.

Toutefois, on reste un peu surpris par un début privilégiant l’ambiance à l’action, installant un rythme plus lancinant que trépidant. Une introduction plus péchue aurait sans doute plus aisément attrapé le spectateur. Mais Run veut prendre le temps de poser les multiples fondations de son univers – les truands latinos, les extraterrestres incognito, les luchadores super-héros… l’univers foutraque dans lequel évoluent les héros, avec toutes ses références pop et série B, est tellement solide qu’on y naviguerait des heures. Parce qu’il est drôle et violent aussi – les morts par lame ou balles ne se comptent plus – on est prêt à se laisser surprendre. Comme Mutafukaz était une bande dessinée qui ne ressemblait à rien de ce qui sortait, son adaptation ciné est un dessin animé atypique, au scénario étrange et au design ultra léché, du plaisir pour les yeux et un bon stimulant pour le cerveau. Mutafukaz ne pouvait pas être un production lambda. Mission accomplie.




Pitch : À la suite d’un accident de scooter provoqué par la vision d’une mystérieuse inconnue, Angelino, un bon à rien comme il y en a des milliers à Dark Meat City, une sordide mégapole de la côte Ouest, commence à avoir de violentes migraines accompagnées d’étranges hallucinations. Avec son fidèle ami Vinz, il tente de découvrir ce qui lui arrive, alors que de menaçants hommes en noir semblent bien déterminés à lui mettre la main dessus...

C’est dans la ville poisseuse de Dark Meat City, quelque part aux Etats-Unis, où les cafards pullulent, les rats se font dévorer les tripes par des corbeaux macabres, et les hommes, jeunes souvent, issus des ghettos sud-américains, affectionnent particulièrement l’usage des armes, que vivent nos héros marginaux, tentant de survivre dans un hôtel crasseux, échapper aux gangs de rue et affronter une invasion extraterrestre. Cerise sur le ghetto, ils ont des têtes à faire prendre le trottoir d’en face. Mais ont la nonchalance communicative.




Pourtant c’est bien loin de la chaleur californienne qu’a pris vie l’univers de Mutafukaz, déformation de l’insulte en anglais motherfuckers. Il faut, en effet, plutôt se rendre dans les entrailles du nord de la France, à Roubaix, où se situent les studios Ankama, les premiers, en 2006, à donner sa chance à Run sur ce projet un peu fou, étoffé et multi-inspiré.

Run se souvient bien. La genèse de Mutafukaz remonte à une vingtaine d’années, lorsqu’il était étudiant aux Beaux-Arts. Peu enthousiasmé par la fin de son cursus, il « bricole une petite BD rudimentaire, des petits sketchs pour tuer le temps mettant en scène une citrouille et un crâne enflammé. On y retrouvait déjà des influences comme la SF des années 1950, l’ufologie, la lucha libre ou même les théories du complot, qui restaient vraiment dans un cercle d’initiés à l’époque et ne paraissaient pas aussi dangereuses. Je me suis dit que ce serait marrant de confronter de tels personnages à ce genre de situation, de récit à la X-Files. »

Au début des années 2000, alors qu’il travaille dans une agence multimédia, « découvrant les joies de Flash et d’Internet », Guillaume Renard continue de développer l’univers Mutafukaz et le propose sur le Web. Il tâtonne, expérimente et finit par réaliser un court-métrage de sept minutes, Opération Black Head, qui fige le look des personnages principaux et esquisse l’esthétique Mutafukaz entre film noir rétro et pop culture des années 1990. La pastille se paie une tournée des festivals et une nomination prometteuse, en 2003, au festival américain de cinéma indépendant Sundance.




Mais Run recentre finalement son projet sur une BD, « où le metteur en scène a un vrai crédit illimité, son imagination, et n’est contraint que par ses propres compétences ». Sans toutefois vouloir se ranger du côté des conventions de la franco-belge, le neuvième art canon en France. Son style emprunte aux cultures hispaniques, à la mise en scène des comic books américains et au manga. Run, aujourd’hui 42 ans, ne s’interdit aucun style, et puise dans tout ce qui l’a bercé plus jeune : « Comme tous les gamins des années 1980, j’avais les yeux rivés sur la télé, les séries américaines et les dessins animés du “Club Dorothée”. » Une œuvre protéiforme, quasi naturelle pour sa génération. Mais ne parvient pas à séduire les éditeurs de BD historiques. « J’étais naïf, j’avais une exigence de taulier, alors que je n’avais pas encore fait mes preuves. Mais je me suis accroché. »

Une jeune entreprise, Ankama, à la croisée de la création de jeux vidéo, dessins animés et BD, décide de le publier en 2006. Et même plus. Elle confie à Run les rênes de son label de comics, 619. Un espace rêvé pour étendre l’univers Mutafukaz sans faire de concession ni de révérences, avec plus de tomes, et des séries dérivées comme Puta Madre, mais aussi la possibilité de signer des talents comme Mathieu Bablet, sélectionné à Angoulême en 2017 pour son album, Shangri-La. « J’étais le vingtième salarié d’Ankama et, en trois mois, on a passé la centaine », se remémore-t-il.




La teinte californienne de Mutafukaz, déjà en germe, n’éclora que plus tard, lors du premier voyage de Run aux Etats-Unis, pendant la promotion de son court-métrage. « La première fois, j’ai pris une claque. Je me suis dit, on est dans un film de ouf. On ne connaît pas si bien les Etats-Unis, même si on en a une représentation. Je voulais transposer Mutafukaz là-dedans ». Une vision fantasmée de la côte ouest, qui devait toutefois rester crédible. D’autant que la question de l’appropriation culturelle est un sujet pris très au sérieux aux Etats-Unis. « Je me suis beaucoup posé la question de la légitimité à faire ce type d’œuvre. Je me suis renseigné sur la culture des gangs, par exemple, j’ai aussi enregistré des ambiances sonores, le silence dans le désert pour le film, et j’ai pas mal voyagé. Quand on a projeté le film à Chicago, j’avais vraiment peur. Il fallait absolument pour moi que ce soit validé par les Américains. Heureusement, l’accueil était très bon. »

Un souci d’authenticité devenu une véritable gageure lorsqu’il a fallu réaliser le long-métrage dans des studios japonais, une volonté du producteur Anthony Roux alias TOT, cofondateur d’Ankama. « D’une part, il a fallu s’adapter à la méthode japonaise pour travailler, mais aussi il a fallu leur apporter beaucoup d’éléments de la culture américaine et mexicaine, qu’ils connaissent mal, notamment à propos des gangs ou des communautés afro-américaines », explique Guillaume Renard.

En plus de la série BD, qui cumule six tomes regroupés aujourd’hui dans une intégrale, Run abreuve son coréalisateur Shojiro Nishimi de clichés, de descriptions allant de la vierge de Guadaloupe aux panneaux de signalisation en passant par les voitures de police et les arrêts de bus bondés. Le résultat final, un film d’une heure et demie reprenant l’épine dorsale de 600 pages de BD, aura pris plus de cinq ans et se retrouve largement salué par la critique. Run, lui, se tourne déjà vers l’avenir et souhaite encore étendre la galaxie Mutafukaz, avec une série dérivée supplémentaire et un nouvel arc narratif prévus pour 2019.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire