lundi 27 mai 2024

Petite réflexion autour de Rolf, Métal Hurlant, OD&D...

Cela fait quelques mois que j'avais laissé ce Blog de côté, plein de choses à faire et un manque de motivation, mais me revoilà avec quelques articles en préparation de côté. Je viens de me relire Rolf de Richard Corben, l'un de mes dessinateur et scénariste préféré. J'adore ce mélange très typique dans ses œuvres et d'autres BD d'ailleurs parues chez les Humanos ou dans Métal Hurlant à l'époque, mélange de SF, d'Heroic Fantasy, d'Horreur... 




Synopsis :

Sur la paisible terre de Canis, d’étranges envahisseurs arrivent un jour, équipés d’armes comme personne n’en a jamais vues dans ce pays. Ils détruisent le château du roi et enlèvent sa fille pour la ramener à leur chef. Mais à leurs trousses, il y a Rolf, le chien fidèle de la princesse, qui aime autant sa maîtresse qu’elle l’aime en retour. Suite aux maléfices d’un sorcier, Rolf n’est plus un chien, sans être vraiment un homme non plus. Juste un monstre à mi-chemin entre les deux. Mais un monstre fou d’amour…

À ma connaissance la plus ancienne production de Richard Corben disponible en français, Rolf se caractérise par une démarcation aussi inattendue qu’originale sur le thème classique de La Belle et la Bête ; sauf qu’ici la Bête n’a pas perdu son humanité suite à une malédiction puisqu’elle n’en a jamais eu pour commencer. Le schéma bien connu se trouve simplement inversé en fait, ce qui reste une méthode de création d’autant plus efficace qu’elle est pratiquée depuis longtemps – et pour autant que l’auteur ait eu conscience d’adopter un tel procédé : ce récit, après tout, débute comme un conte de fée tout ce qu’il y a de plus traditionnel, jusqu’à ce que…




On y trouve déjà tout ce qui fait la spécificité de Corben : l’exaltation de la force brute ; le mélange des thèmes et des époques à travers une sorte de postmodernisme bien avant l’heure ; la belle aux seins lourds ; l’ultra-violence vide de sens et encore plus de morale ; l’iconographie démonologique, ou assimilée ; un style graphique au dynamisme d’autant plus rare que peu d’auteurs ont su l’égaler depuis ; et plus que tout, ce concept si typiquement américain de la liberté de se donner les moyens de prendre tout ce qu’on veut sans donner de prétexte et encore moins d’excuse – ce qui suffirait à taxer Corben de réactionnaire, voire de fasciste, mais je préfère le voir comme un libertaire : les artistes, en effet, ont cette boulimie de liberté qui les empêche le plus souvent d’imposer quoi que ce soit aux autres.

Bref, Rolf a beau être une œuvre de jeunesse, elle n’en demeure pas moins emblématique, ou en tous cas révélatrice : à travers elle, le lecteur aura l’opportunité de découvrir les caractéristiques principales d’un auteur alors en devenir mais appelé néanmoins à signer des œuvres qui comptent encore parmi les plus importantes de la culture comics des années 70 et 80. Mais c’est aussi un récit émouvant par le portrait qu’il dresse d’un animal élevé au rang de presque homme, et qui n’oublie pas pour autant quels sentiments le lient à sa maîtresse : s’il va jusqu’à tuer pour elle, il saura néanmoins quand se rebeller contre l’ordre établi qui voudrait le garder au bout de cette laisse qu’un homme libre ne peut supporter…

Un album pour une histoire à double lecture, à double sens. D'un côté, une aventure -classique- de science-fiction mêlée de fantastique. De l'autre, une histoire qui met en scène l'invasion de l'Ukraine par les troupes allemandes (les uniformes et véhicules des envahisseurs ressemblent à ceux de la Werhrmacht).






À noter que cette réédition se double du récit court La Bête de Wolverton (1972-1979) qui, à partir du thème voisin de l’homme-loup, nous montre un Corben assez sensible aux racines saxonnes et celtiques du peuple américain. Ici, le monstre est un homme simple qui a dû accepter la possession par une entité divine afin d’obtenir le pouvoir de vaincre les oppresseurs de son peuple ; mais cette possession devient vite une malédiction dont ne pourra le libérer qu’un exorcisme pour le moins… particulier.




Avec ces deux récits indépendants qui sont autant de facettes distinctes – bien qu’axées autour de thèmes similaires – d’un auteur majeur du comics underground, Rolf demeure une excellente introduction à l’œuvre pour le moins atypique d’un Richard Corben alors en plein ascension vers une gloire bien méritée. Corben nous conte deux histoires de loup-garous bien différentes avec un ton savoureux et salutaire, vigoureux et surprenant. Histoires réalisées au tout début des années 70, avec un choix de couleurs très personnelles, soit, mais avant tout la présence primordiale d'un encrage puissant. Un des classiques de Corben sur son très long parcours d'auteur.


Notes :

Si au départ Rolf est un comics entièrement en noir et blanc, la version proposée dans cette édition est colorisée, au contraire de sa première édition française de 1975. A savoir que l'histoire avait déjà été publiée dans "Actuel" n° 15, en 1971 avant sa réédition chez les Humanos.


La première édition en noir et blanc

Version américaine, au début le titre était Rowlf avant d'être changé en Rolf chez les Humanoïdes Associés


Guillermo Del Toro au sujet de Richard Corben : "L'artiste qui m'inspire le plus est Richard Corben. Son style est visuel et raconte l'histoire juste comme vous la voyez... Oui, mon favori est Corben. J'aime tout ce qu'il fait, j'aime son travail... C'est un artiste merveilleux."

Rolf a été l'une des inspirations principales du Japonais Hayao Miyazaki pour sa bande dessinée Nausicaä de la vallée du vent (1982-1994) :

Pour Hayao Miyazaki, les courants s’étaient, à l’aube des années 80, montrés bien malicieux en ce qui concerne la carrière cinématographique du génie de l’animation. Il aura fallu l’intérêt du magazine spécialisé Animage pour que quelques projets de Miyasaki soient placés sur les rails. Parmi ceux-ci se trouve l’adaptation d’une bande dessinée de Richard Corben, Rolf qui se voit librement modifiée, intégrant notamment des éléments fondateurs de l’œuvre future de Myiasaki comme la Vallée du Vent ou la fukai, cette "mer de la décomposition" qui gangrène la Terre. Le projet capote justement en raison du manque de fidélité. Un nouveau vent favorable souffle alors pour le dessinateur qui se voit suggéré de faire siennes ces créations en les développant dans sa propre série de mangas. Le premier épisode en crayonné des aventures de Nausicaä paraît en 1982, ce qui provoque l’engouement de la presse, même internationale. Les premiers pas de la princesse peuvent donc avoir lieu à l’écran pour un pilote de cinq puis dix minutes...

Mais la Vallée du Vent est plongée dans la tourmente et menace de s’effondrer face aux coûts que sa production engendre. Celle-ci s’avère trop onéreuse pour son format, la vidéo ne se montrant pas suffisamment rentable. Tokuma Shoten met le pied à l’étrier, en compagnie de la société Topcraft (première ébauche des futurs studios Ghibli qui permettront au maître de produire ses futurs longs-métrages) de Toru Hara, ancien de la Tôei Animation, et ouvre la voie à Miyasaki pour un long-métrage destiné aux salles obscures. Il y parvient dans le début de l’année 1984 et bénéficie d’une belle réception critique et publique. Et pour cause...

En effet, si les animations de Nausicaä paraissent aujourd’hui quelque peu surannées face aux machines modernes, le charme de ces décors majestueux aux formes pures et aux couleurs éclatantes agit d’emblée sur le spectateur plongé au cœur de ce monde dévasté, purgatoire pour une poignée d’hommes qui ont eu le mauvais goût de survivre à l’invasion de la fukai et aux assauts des redoutables omus. Ces insectes grouillants, armés de mandibules, représentent le principal fléau duquel il faut se prémunir d’autant qu’ils envahissent par milliers, aveuglés par leur colère, les derniers bastions restés aux mains des humains. Ces bipèdes, créateurs de leur propre misère, qui s’organisent en cités et luttent les uns contre les autres plutôt que de s’unir contre un "ennemi" commun...

Parmi ces créatures au final plus aveugles que leurs congénères arthropodes trône l’impétueuse mais très sage Nausicaä qui fait fi des prophéties, méprise les préjugés et guide son peuple vers la lumière en sacrifiant sa frêle personne. "Celle qui murmurait à l’oreille des omus" et cultive en cachette des plantes de la fukai prétendument contaminées en remontre aux naïfs et aux va-t’en-guerre, elle donne à chacun une leçon de courage et répand une parole écologique très en phase avec un Japon meurtri par l’arme atomique.

En se gardant de sombrer dans le manichéisme (les cafards qui grouillent ne peuvent que se montrer repoussants quand ils ne sont en définitive que des êtres essentiels à la survie de la terre) et d’emprunter les chemins ultra-balisés d’une narration naïve (le récit compte une garnie très fournie de personnages secondaires qui parviennent tous à co-exister dans cet univers des plus riche), Miyasaki conçoit un chef-d’œuvre aux courbes parfaites s’intégrant à merveille dans un univers rétro-futuriste (des engins volants ultra-perfectionnés sillonnent les cieux en passant à travers les ailes de châteaux ornés de pales d’éolienne), à l’animation vertigineuse (voir les séquences de combats aériens), au traitement prodigieux. Un prodige qu’il comptera quelques années après réitérer avec un presque-remake en la personne de Princesse Mononoké...

Il faut dire que l'une de mes principales inspirations pour D&D et le Jdr en général, mais surtout pour D&D à l'ancienne et tout ce qui en découle en matière de jeu, principalement dans l'OSR côté ambiance des parties et système et plus large côté univers... Bon vous avez cas parcourir ce Blog pour voir un peu de quoi je parle. Donc ces inspirations sont les anciens numéros du magazine Métal Hurlant. Certaines de ces bandes dessinées de la fin des années 70 et du début des années 80 avaient souvent des thèmes "d'épée et de sorcellerie" avec un brin de SF, et on pouvait compter sur elles pour présenter un art visuel assez étonnant. En lisant quelques vieux numéros de ces magazines, encore très discrètement dans les années 80, en plein dans ma première phase Jdr et D&D et encore trop jeune malgré tout pour avoir accès officiellement à ces BD il me semblait évident d'y voir une version plus adulte des comics, dessins animés et autres sources de l'époque qui elles nous étaient autorisées et où Fantasy et SF copulaient joyeusement et qui inspiraient nos parties du weekend. En redécouvrant ces magazines, dont quelques-uns que je n'avais jamais consulté, et avec une connaissance plus accrue de l'histoire de D&D que je ne l'avais alors, il m'est venu clairement à l'esprit que les éléments de Science-Fantasy qui sont une partie négligée mais non négligeable du charme d'OD&D se trouvaient également ici.

Arduin de Hargrave avait des extraterrestres et des artefacts technologiques avancés ainsi que des monstres et de la magie. OD&D avait des tableaux répertoriant les rencontres tirées des livres de Burroughs sur Mars et vous ne pouvez pas obtenir plus de Science-Fantasy que cela. A l'époque, sans même connaître ces choses là, nous faisions ces mélanges dans nos parties, aujourd'hui je les pratique encore bien plus et très naturellement chez moi quand nous avons l'occasion de jouer avec mon fils et notre petit groupe. Je ne serais malheureusement pas tenté d’inclure ces éléments dans mon jeu au club par exemple car un mélange aussi "fou" pourrait être considéré comme hérétique parmi les joueurs de D&D qui s'y trouvent, peut-être est-ce l'une des raisons qui fait que j'y vais de moins en moins souvent, ce manque de "folie". Mais l’idée d’avoir des Orcs démoniaques dans des Panzers à l’allemande… comme dans Rolf, je dois admettre que c'est vraiment le genre de chose qui me séduit.

Regardez l'image ci-dessous, c'est génial, n'est-ce pas ? Je vois juste cette colonne de chars traversant des champs de type médiéval en route vers un château sans méfiance…




La combinaison de ces éléments contrastés, voire "extérieurs", me semble tout à fait conforme à l'esprit du jeu original. J'aimerais voir comment un combattant barbare ou un archimage réagirait à un Tigre II piloté par des Deodanths et commandé par un démon.