mercredi 4 juillet 2018

Etude - « Pop occultisme »

Suite à mon Post d'hier où je parlais d'Occultisme et d'Aleister Crowley, en continuant mes recherches je suis tombé sur cette étude de Stéphane François sur l'Occultisme dans la Pop Culture, très intéressante, je n'ai pas pu m'empêché de la publier sur ce Blog, j'espère que son auteur ne m'en tiendra pas rigueur.

Stéphane François est docteur en science politique et maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Valenciennes. Chercheur à l’IDP dans cette université, il participe également au Groupe sociétés religions laïcité (EPHE/CNRS).




Nous allons nous intéresser dans cette étude à la diffusion et à la recomposition, des discours ésotérique et occultiste dans les cultures marginales connues sous l’expression d’underground. Ces cultures marginales ou subcultures, sont nées dans le sillage de la contre-culture des années 1960 et sont un mélange de culture « pop » et d’agitation estudiantine. Nous nous intéresserons aussi aux conséquences de cette diffusion : une volonté de ré-enchanter, c’est-à-dire d’essayer concrètement de sacraliser, un monde de plus en plus matérialiste. L’intérêt de ces subcultures et de ces discours réside, pour le chercheur, dans le fait qu’elles ont proposé non seulement des modèles alternatifs de vie, mais aussi une cosmologie. En outre, ces contre-cultures mêmes anticipent les évolutions majeures des sociétés occidentales, tant au niveau social que spirituel. Il est dommage que l’étude de ces faits et pratiques ait été longtemps rejetée ou ignorée par le monde universitaire qui les jugeait irrationnels ou peu sérieux.


Définitions

L’underground peut être défini de la façon suivante : il s’agit d’un mode de vie en marge des valeurs dominantes de la société, le mainstream, qui se manifeste par l’élaboration de ses propres règles à la fois de vie et intellectuelle/culturelle. L’underground se manifeste aussi par une radicalité politique et/ou artistique associée à une volonté de subvertir. Les contre-cultures sont des systèmes déviants, qui cherchent à subvertir les identités établies. La notion de contre-culture doit aussi être vue comme une réaction à la tendance à l’homogénéisation du rationalisme issu des Lumières : il s’agit d’une réaction irrationnelle, parfois « spiritualisante ». Il est vrai que les contre-cultures ont des liens féconds avec les milieux occultistes et ésotéristes.

De ce fait, il est donc nécessaire, pour la clarté de notre propos, de définir ce qu’est l’ésotérisme et l’occultisme. Antoine Faivre distingue cinq contenus sémantiques dans le mot « ésotérisme » : le terme « fourre-tout » ; le discours volontairement « crypté » ; l’ésotérisme traditionaliste d’un René Guénon ; le discours gnostique ; et enfin, l’approche universitaire. Malgré cette impression d’hétérogénéité, il a été possible d’en établir une critériologie comprenant six composantes, dont quatre essentielles (les correspondances, la Nature vivante, l’imagination et les médiations, l’expérience de la transmutation) et deux accessoires (la pratique de la concordance et la transmission). L’analyse des pratiques culturelles des groupes étudiés montre que ceux-ci s’inscrivent plutôt dans le cadre de l’occultisme. Celui-ci est un terme à la fois proche et distinct de l’ésotérisme : il existe une distinction nette entre ce qui peut être défini comme l’aspect théorique d’un côté (l’ésotérisme) et l’aspect pratique de l’autre (l’occultisme).

Au-delà de cet aspect pratique, l’occultisme peut être considéré comme un courant particulier de l’ésotérisme contemporain. Il comprend l’idée de secret, de connaissances réservées, d’« initiation ». Dans le langage courant, le mot « occulte » et ses dérivés renvoient à la fois à ce qui est caché, masqué, et à une série de pratiques sociologiques (la création de « sociétés secrètes » et l’inscription de celles-ci dans une filiation continue) et de pratiques magiques, de contacts avec des entités supranaturelles et de rites initiatiques. Au XIXe siècle – mais nous retrouvons ces caractéristiques dans les milieux underground contemporains – les occultistes désiraient maintenir un espace ouvert entre la science et le spirituel, allant à contre-courant de la sécularisation et du scientisme de leur siècle. Les occultistes étaient persuadés que certaines vérités spirituelles devaient rester cachées dans des sanctuaires, en attendant le moment propice de leurs « désoccultation ». Cette dernière se fit dans les années 1960 et 1970 dans les milieux contre-culturels.


Contextualisation historique

Les milieux underground et occultiste ont une longue histoire d’échanges et de fécondations mutuelles. Dès la fin du XIXe siècle, les milieux occultistes fréquentaient les avant-gardes artistiques et réciproquement. Des poètes, comme le prix Nobel William Butler Yeats ou l’écrivain Arthur Machen, fréquentèrent assidûment des structures occultistes, en particulier le Golden Dawn Order. Des occultistes comme Papus, Joséphin Peladan, Aleister Crowley côtoyèrent la bohème artistique de leur époque. Des auteurs renommés comme Victor Hugo faisaient tourner les tables. Plus récemment, et dans un registre plus ésotérique, un grand nombre d’intellectuels furent marqués et influencés par les thèses de l’ésotériste français René Guénon. Les surréalistes ne cachèrent jamais leurs goûts pour l’ésotérisme et l’occultisme. Cependant, ces pratiques restèrent marginales, même si cette bohème artistique/occultiste donna naissance dans les années 1960 à la contre-culture. Le changement vint de cette époque, et surtout de l’ampleur du phénomène qui donna naissance au New Age et aux milieux qui nous intéressent. Longtemps confiné dans des milieux marginaux, l’occultisme s’est donc « exotérisée », c’est-à-dire qu’elle s’est diffusée dans de nouveaux milieux, en particulier dans la culture populaire, perdant dans le même temps son côté marginal et occulte. Il est alors devenu « mainstream » culturellement, c’est-à-dire qu’il est devenu un élément constitutif de la culture populaire de cette époque, mais aussi de la nôtre.

À cette époque, le moindre livre écrit, y compris par un inconnu, sur des sujets tels que les spiritualités, l’« histoire secrète », les ovnis ou l’ésotérisme tirait au minimum à cinquante mille exemplaires et cela jusqu’à la fin des années 1960. L’engouement pour ce type de littérature a été très fort aux dans les pays occidentaux, montrant ainsi le besoin de merveilleux et de pensée alternative d’une frange importante des populations occidentales. En fait, ces milieux sont plutôt ceux des « parasciences ».

En France, le principal vecteur de cette « exotérisation » de l’occultisme fut une revue, Planète, qui déchaîna les passions. En effet, dès sa création en 1961, elle désira mener une guerre « révolutionnaire » contre la culture dominante de l’époque qu’elle jugeait figée, fermée, morose, et rétrograde. En réponse, elle proposait à ses lecteurs « une ouverture voluptueuse à tout » : idées insolites, « faits maudits », événements étranges, littérature, contestation des frontières scientifiques (interdisciplinarité), refus des partis pris idéologiques, « histoire mystérieuse » (civilisations perdues), personnages énigmatiques, aventures de l’esprit, vulgarisation des sciences… et redécouvertes des idées occultistes. Planète, en cherchant à réconcilier la science et l’irrationnel, a repris, consciemment ou non, la démarche des occultistes du XIXe siècle qui désiraient réconcilier la science et l’esprit dans le but de ré-enchanter le monde. Son succès fut prodigieux. Aucune revue intellectuelle française n’avait jusqu’alors atteint les cent mille exemplaires vendus (en 1965, il y eut même des tirages atteignant les 500 000 exemplaires), ni suscité de déclinaison en trois éditions étrangères. Le succès a été tel que Jacques Bergier fut dessiné, en 1968, sous les traits de Mik Ezdanitoff dans l’aventure de Tintin Vol 714 pour Sidney. La revue disparut cependant en 1968, ses animateurs jugeant leur mission accomplie : elle avait selon eux changé les sensibilités et ré-enchanté le monde. Elle permit, il est vrai, la diffusion « désoccultée » des thèmes ésotérico-occultistes dans de larges pans sociétaux, populaires et/ou underground. La réussite commerciale de cette revue a en effet permis aux thèmes occultistes de se diffuser hors des cercles restreints dans lesquels ils étaient habituellement confinés, et de toucher une population plus jeune, ayant une culture marginale ou sommaire, qui cherchaient de nouveaux référents. Après avoir découvert l’occultisme dans Planète, ces nouveaux lecteurs se sont dirigés vers les collections éditoriales qui ont su profiter de cet effet de mode, accélérant ainsi le processus de diffusion.




L’occident connut, dans les années 1970, parallèlement au désintérêt pour le christianisme et à la décomposition des formes classiques du religieux, par un mouvement de balancier, un phénomène de recomposition parareligieuse, notamment à travers l’apparition d’une nébuleuse spiritualiste foisonnante, elle-même issue des contre-cultures. Cette période, corrélativement à la remise en cause des valeurs dominantes de l’Occident, vécut une crise métaphysique, voire mystique pour certains, ayant abouti à la (re)-découverte des spiritualités de l’Orient, à la mode des gourous, mais aussi à la diffusion de toute une subculture aux intérêts occultistes variables. Sa principale expression fut l’apparition de la nébuleuse New Age. Cet essor est lié, comme nous l’avons dit, au développement dans les années 1960 et 1970 de recherches « alternatives » dans divers domaines : médecine, économie, écologie, politique, religions, etc.

L’une des conséquences de ce phénomène de sécularisation est une dilution qualitative des thèmes ésotérico-occultistes. En effet, entre les années 1970 et la décennie suivante, et dans un curieux relativisme culturel, de jeunes gens mirent sur le même plan des références aussi diverses, et diversement comprises, que l’ésotériste René Guénon, l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, l’ufologue Erich von Däniken, les « gourous » indiens, la culture pop (musique, cinéma, bande dessinée, etc.) et les références alternatives. De cet étonnant bouillon originel émergeront les objets de notre étude. En effet, en retour, ce relativisme culturel a permis une recombinaison innovante des thèses occultistes dans de nouvelles subcultures, a priori éloignées de ces milieux, donnant naissance à une interpénétration et à une fécondation mutuelle. Ainsi, la vague contestataire de Mai 1968 a permis à de nouvelles formes de culture de se manifester comme les musiques ou bandes dessinées underground. Des dessinateurs issus de ses rangs ont pu exprimer leur intérêt pour les thèmes occultistes/ésotériques/spiritualistes. Pour s’en convaincre, il suffit simplement de se pencher sur une bande dessinée culte dans les milieux subculturels, L’Incal, mise en image par Moëbius sur un scénario d’Alejandro Jodorowski. Celle-ci nous familiarise, au travers d’une trame narrative classique, et en six volumes tout de même, avec des thèmes ouvertement occultistes/ésotériques comme la mystique de l’Empire, l’androgyne alchimique, la théorie des cycles, la place du Bien et du Mal, le Chaos en tant qu’ordre, la tentation prométhéenne, l’harmonie avec la Nature, etc. Mais il est vrai que Jodorowski, bon connaisseur de l’occultisme et de l’ésotérisme, spécialiste des tarots, est une figure importante de la culture underground : il a été cinéaste, scénariste de bandes dessinées et membre fondateur, avec Roland Topor et Fernando Arrabal, du groupe néo-surréaliste Panique. Cette exotérisation est aussi flagrante dans les bandes dessinées de Philippe Druillet à l’irrationalité symboliquement puissante, comme Loane Sloane ou dans la science fiction mâtinée d’Heroic Fantasy de Caza, thème qui explosera à début des années 2000 dans série Le Monde d’Arkadi. Dès lors, une partie de l’imaginaire occidental, dont font partie l’ésotérisme et l’occultisme, semble avoir trouvé refuge dans les bandes dessinées, moyen d’expression majeur de la culture underground. Ces dessinateurs ont aussi redécouvert, à cette époque, leur patrimoine régional composé de légendes et de contes païens tombés en déshérence, chez les Belges Jean-Claude Servais (La Tchalette) ou Didier Comès (La Belette, Silence, Iris) par exemple. Cet enracinement se double souvent d’une critique de la modernité comme le montre la trilogie du couple Enki Bilal (dessins) et Pierre Christin (scénario), La Croisière des oubliés, Le Vaisseau de pierres et La ville qui n’existait pas, celle de Jacques Tardi sur un scénario de Pierre Christin, Rumeur sur le Rouergue, où s’exprime la défense d’un art de vie, rural, anticonsumériste, refusant l’idéologie du progrès. Cette bande dessinée est particulièrement intéressante, car les thèses gauchistes/alternatives rencontrent le régionalisme et le folklore. Ainsi, la mythologie, les légendes et le fantastique ouvrent à divers degrés de nouvelles portes laissant s’exprimer des forces anciennes magiques et païennes. En outre, les thèmes à connotation historiques y sont souvent archétypaux et les références appuyées à une mentalité païenne, fréquentes.

Cette thématique spiritualiste se retrouva aussi fréquemment dans le cinéma avec des films comme The Wicker Man de Robin Hardy, profondément païen, ou La Montagne sacrée et El Topo, films hallucinés et mystiques de l’incontournable Alejandro Jodorowski, ainsi que dans Excalibur de John Boorman, L’Exorciste de William Friedkin, etc. Enfin, il ne faut surtout pas oublier que l’occultiste anglais Aleister Crowley fut célébré dès les années 1960 par le cinéaste expérimental américain Kenneth Anger. Un autre vecteur important de diffusion de cette vision occultiste du monde a été les groupes de rock de cette époque : il est notoirement connu qu’Aleister Crowley, pour ne prendre que cet exemple, a influencé assez profondément des groupes comme les Beatles, les Rolling Stones, Led Zeppelin, Ozzy Osbourne, le premier chanteur de Black Sabbath, etc. Dès lors, Crowley devient une figure importante de la contre-culture, une situation favorisée par l’apparition d’une « branche noire », c’est-à-dire fascinée par le satanisme, en son sein. Mais, il s’agissait, il ne faut pas l’oublier, de l’underground de l’underground, c’est-à-dire d’un milieu inconnu du grand public. Enfin, les thèmes occultistes se sont diffusés grâce à un genre littéraire longtemps considéré comme mineur, l’Heroic fantasy. Ce registre est apparu dans les années 1920 sous la plume de Robert E. Howard avec Conan le Barbare, une œuvre influencée par les mythes de Mésopotamie, en particulier sumériens, mais aussi par le darwinisme-social et le racialisme. Cependant, les lettres de noblesse de ce genre ont été données, outre Tolkien, par de grands auteurs comme Fritz Leiber et son Cycle des Épées, Michael Moorcock et son Elric le Nécromancien, David Edding et La Belgariade, etc. Globalement, l’Heroic Fantasy est une dérive de la littérature arthurienne et/ou celtique. Elle est aussi beaucoup influencée par les sagas scandinaves, les Eddas, la symbolique du combat entre chevalier et dragons et par les épopées anglo-saxonnes telles que le Beowulf. Cette littérature est aussi très largement marquée par l’aspect initiatique, notamment celle du héros : son thème récurrent est une quête mystique ou d’un objet mystique (Graal, Excalibur, l’Anneau…), voire une quête guerrière...

Ces quelques graines vont germer et donner naissance la décennie suivante à un second phénomène d’exotérisation de l’ésotérisme/occultisme. Cette seconde exotérisation est née du désir d’acteurs subculturels de compléter d’un côté leur connaissance dans ces domaines et de l’autre, d’agrémenter leurs musiques, les pochettes et les livrets de leurs productions, mais aussi de leurs publications littéraires, de références occultistes. Lors de cette seconde exotérisation, la bande dessinée a, de nouveau, joué un rôle important. Outre les « classiques » cités précédemment, de jeunes dessinateurs ou scénaristes issus de l’underground des années 1980 ont connu le succès. Deux scénaristes anglais de bandes dessinées sont connus pour leur intérêt pour l’occultisme : Alan Moore et Grant Morrisson. Le premier est l’auteur des scénarii de V pour Vendetta, From Hell, Swamp Thing, Miracleman, Batman (pour le volume « Rire et mourir »), Promethea, Tom Strong, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, etc. C’est aussi un romancier et un musicien aux convictions écologistes, anarchistes et adepte de certaines formes de magie. Il participe en outre à la revue occultiste anglo-saxonne Kaos 19. Le second est célèbre pour avoir adapté Chapeau melon et Bottes de cuir en bande dessinée et surtout pour avoir créé Les Invisibles dont le héros a ses traits. En effet, Morrison considère cette série comme une véritable technique magique de transformation personnelle et le personnage le représentant comme un sceau sur lequel il concentre sa magie.

L’un des traits les plus intéressants de cette seconde exotérisation est l’apparition des jeux de rôle. L’univers du jeu de rôle est d’ailleurs fortement symbolique. Nous pouvons y rencontrer d’étranges êtres se côtoyant comme des elfes, des gnomes, des amazones, des fées, des vampires, et des magiciens et des guerriers. Le monde dans lequel se situe le jeu de rôle est une terre semée de périls à surmonter, hantée de spectres et de monstres, jalonnée de cités fortifiées singulières et de temples voués à des cultes inconnus. Bref, un monde imprégné de mythes, notamment celtiques et nordiques. Ces jeux montrent le besoin d’irrationnel et de merveilleux dans une société supposée envahie par le réalisme économique et technologique. Il existe une extension de l’Heroic Fantasy qui a connu un énorme succès dans les années 1990 : la féerie, qui peut être vue comme un intérêt pour le monde merveilleux du « Petit Peuple » du folklore européen : fée, elfe, lutin, etc. L’attrait pour celle-ci touche une large part des jeunes adultes, même s’il est plus important encore dans les milieux influencés par l’Heroic Fantasy, la musique gothique, néo-folk ou métal. Cet engouement pour la féerie se double aussi souvent d’un intérêt pour le celtisme. En effet, ces personnes baignent dans une subculture ouvertement néo-païenne d’inspiration celte et scandinave.




Il devient donc nécessaire de nous demander pourquoi ces thèmes occultistes ou « occultisants » réapparaissent de façon récurrente aussi importante et touchent autant ces tranches d’âges. Ces idées nouvelles se nourrissent de l’ancien, en se construisant à partir des brides du passé, transformant, combinant et assemblant des éléments que la tradition laisse à leur portée. C’est la célèbre notion de « bricolage » formulée en son temps par Claude Lévi-Strauss. En effet, la principale caractéristique des groupes et/ou personnes étudiés ici est le peu d’intérêt pour la notion de filiation, primordiale pourtant pour les sociétés occultistes « classiques »… Ces nouveaux venus sont donc dépourvus de culture profonde dans les domaines occultistes. Nous sommes plutôt en présence de pratiques « sauvages », c’est-à-dire hors du cadre normatif d’une société initiatique occultiste.

Ces milieux underground ne sont pas des mondes fermés sur eux-mêmes : il existe des va-et-vient permanents entre ceux-ci et les autres segments de la société. Les valeurs de l’une peuvent féconder une autre et revenir modifiées, fécondant en retour leur segment contre-culturel d’origine. Ainsi, il existe des passerelles assez larges entre les subcultures musicales, les avant-gardes artistiques, les mouvements occultistes, le monde des sexualités marginales, l’écologie radicale, les milieux anarchistes, etc. Cette proximité offre l’avantage d’accroître leur audience, limitée par définition. Nous pouvons même dire que nous sommes en présence d’une « nébuleuse des hétérodoxies », pour reprendre un concept forgé par Jacques Maître.

L’une des clés permettant la compréhension de cette volonté de réenchanter le monde par des spiritualités alternatives est à chercher dans la réapparition de valeurs archaïques et d’enracinements dynamiques au sein de nos sociétés. Cette résurgence irrationnelle s’opposerait, selon Michel Maffesoli, à la modernité, qui ne serait qu’une forme laïcisée de la réduction judéo-chrétienne et qui trouverait son aboutissement dans le rationalisme moderne. Il existerait donc une forme d’irrationalisme culturel qui se manifesterait par des pratiques culturelles persistantes depuis l’Antiquité. Ainsi, la mythologie, les légendes et le fantastique ouvrent à divers degrés de nouvelles portes laissant s’exprimer des forces anciennes magiques et païennes. En outre, les thèmes à connotations historiques y sont souvent archétypaux et les références appuyées à une mentalité païenne fréquentes : l’un des thèmes les plus souvent et les plus librement adaptés reste la Matière de Bretagne, c’est-à-dire le cycle arthurien qui inspirent un Moyen Âge flamboyant, épique, magique et païen.

La mythologie, les légendes, la féerie et le fantastique, dont l’attrait connaît un second souffle, ouvrent à divers degrés de nouvelles portes laissant s’exprimer des forces anciennes irrationnelles, magiques et païennes. Les différentes manifestations du sacré transparaissant dans ces milieux (cultes, pratiques cérémonielles, références à l’occultisme ou à la magie, etc.) peuvent être analysés comme une manifestation, comme une expérience du sacré faite par les individus. Ces cultures, et en premier lieu la bande dessinée fantastique, nous donnent à voir des univers hors du commun dans lesquels se manifeste une sorte de « retour du religieux » changeant et instable mais néanmoins présent. Cette approche tend à montrer trois choses : 1) L’homme actuel appréhende le mystère de son identité en « langage cosmique » ; 2) Il est hanté par « l’idée de transformation de toutes choses » ; 3) Il assiste à un « crépuscule des dieux traditionnels » qui le pousse à ré-inventer, à ré-imaginer le divin et, de ce fait, à repenser sa propre humanité. L’apparition et l’essor de ces subcultures montrent un besoin important d’irrationnel et de merveilleux dans notre société occidentale désenchantée, utilitariste, envahie par le réalisme économique et technologique. Il s’agit donc d’un besoin de réenchanter le monde. Les milieux étudiés font appel à un registre occultiste qui montre un refus fort d’un monde rationaliste, technicien et désenchanté.

Ces milieux contre-culturels, en dépit de leurs constructions « culturelles » qui peuvent sembler étranges pour le commun des mortels, peuvent donc être considérés, d’un point de vue anthropologique, comme une construction identitaire. La pérennisation de ces milieux est créatrice d’une nouvelle identité, en l’occurrence spirituelle. Cependant, nous sommes aussi en présence d’un « occultisme dilué » : nous avons constaté que certains de ces acteurs ne font que reprendre des thèmes, des symboles, sans pour autant adhérer à cette forme de pensée. Cela pour la simple raison que ces personnes ne maîtrisent absolument pas les discours ésotérico-occultistes… Quoi qu’il en soit, ces créations culturelles sont les expressions, fort passionnantes, de tentatives, parfois réussies, de ré-enchantement du monde.

Pour les quelques références qui peuvent vous êtres obscures, car il y en a forcément, je vous laisse faire vos propres recherches, comme moi...

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