"Nolife était trop en avance sur son temps"
C'était la dernière partie. "Nolife", la chaîne de toutes les cultures g33k, s'est éteinte. Récit passionné d'une "non-vie" en compagnie de celui qui fut l'une de ses plus iconiques figures : l'inénarrable nerd Davy Mourier.
Fini de jouer, Nolife s'est envolée. L'annonce a été faite un premier avril , comme une de ces blagues potaches qui faisaient l'identité de cette chaîne de télé bien secouée où s'entrecroisaient images pop, cultures japonaises, gaming et comic books. Une procédure de liquidation judiciaire met fin à onze années passées à défendre les modes d'expression populaires et alternatifs, en un tout foutraque compilant émissions culturelles, sketchs, fictions, analyses et (auto)dérision. Comme une sorte de gros zapping pour nerds, annonçant tout un pan de la création YouTube frenchie. Un MTV indé, oscillant entre bouts de ficelle, érudition et clips de J-pop malaimés.
"Nolife, c'est la télé pour les geeks, les fans de jeux vidéo, d'animation, d'informatique, de j-music", peut-on lire sur le site web de la chaîne. Oui, mais c'était un peu plus que ça. Présentateur emblématique de cette agora geek, acolyte devant l'éternel du tout aussi familier Monsieur Poulpe, l'auteur/scénariste/comédien Davy Mourier (bien connu des fans du collectif Golden Moustache) nous dit tout sur cette "non-vie".
Tu as animé plusieurs émissions sur Nolife : le magazine 101 %, le talk-show J'irais loler sur vos tombes (avec Monsieur Poulpe), l'émission de bandes dessinées Roadstrip, le "courrier des lecteurs" Le Coin des abonnés...Comment et quand as tu débarqué sur ce projet un peu fou de chaîne télévisée ?
Depuis 1999-2000 je traînais pas mal dans le milieu des salons de bandes dessinées et des festivals de culture geek et otaku, type Japan expo. C'est là que j'ai découvert les films amateurs d'Alex Pilot, futur cofondateur et directeur des programmes de Nolife : il s'est forgé une petite réputation en shootant des films chez lui, où il se déguisait en super héros, en icône japonaise, avec tout ce mix de sous culture qui ensuite fera Nolife. J’étais tombé sur ses créations en zappant sur la chaîne de télévision Game One. Je me suis dit qu’il fallait à tout prix que je fasse ca : des sketchs dans l’esprit des Nuls et des Inconnus, mais influencés par des comics, dessins animés et jeux vidéo comme Batman et Robin et Resident Evil, des trucs de geeks qu'on pourrait diffuser dans les festivals de films amateurs.
Avec Didier Richard et Rémy Argaud, j'ai donc créé en 2000 l'association 'Une case en moins', pour diffuser des courts-métrages sur Internet. On s’est fait connaître en conventions, on a remporté quelques prix, on s’est fait repérer par Game One...Puis un jour on se fait contacter par Alex Pilot. Lors d'une soirée, il nous dit qu’il s’est rendu compte d'un truc formidable : avec mille euros par mois, on peut diffuser nos propres programmes sur une box ADSL, et sur notre propre chaîne !...Sébastien Ruchet et Alex Pilot ont donc eu l’idée de Nolife en 2006-2007 et la chaîne s’est finalement lancée le premier juin 2007. On leur a filé nos 110 courts métrages amateurs pour qu'ils les diffusent. Faire vingt quatre heures d'émissions par jour c’était impossible, ils se sont donc lancé un but : proposer au moins une heure de nouveaux programmes par jour.
A l’époque je regardais énormément Friends. J’avais envie de faire une série geek de cinq, six minutes maximum : on a donc créé avec Didier Richard et Monsieur Poulpe la première saison de Nerdz, shootée sur le canapé de mon salon, pour un budget d'à peu près zéro euro. Une série nerdy d'avant The Big Bang Theory !
Que représentait alors Nolife a tes yeux ?
C’était comme un rêve auquel on n'avait pas rêvé. (il rit). De nos canapés, on aurait pas pu imaginer le quart de ça : des potes qui lancent une chaîne de télé, et tu te retrouves dessus...Dès le début, j’ai été voir Alex et lui ai dit que j’avais toujours rêvé d'être animateur télé. Il m’a dit qu’il y aurait sur Nolife une sorte de journal de 20h baptisé 101 %. Je me suis donc mis à l'animer un jour sur deux. Tu imagines ? C’est surréaliste ! Je suis petit, chauve, loin d’être le plus beau mec du monde. Je suis un geek. Bref, je n'imaginais pas animer une émission de télé un jour dans ma vie.
Nolife arrive à l’heure de la box ADSL et des forums geek, de Dailymotion, deux ans seulement après la création de YouTube, alors que la culture comic books est mieux comprise en France...Ne débarque-t-elle pas au bon endroit au bon moment ?
Nolife était un média précurseur, la première chaîne à diffuser de la musique japonaise à la télévision française, à mettre en avant le "hardcore gaming" avec l'émission Superplay... Bien avant la mode mondiale de l’e-sport, les vidéos de let’s play qui envahiront les plateformes de vidéos, et bien avant la création des services de streaming populaires comme Twitch ! Nolife était à la fois dans l’air du temps et trop en avance. C’est une chaîne qui a influencé tout un pan de la création du YouTube français mais sans parvenir à concurrencer YouTube. Ironiquement, Nolife n’a pas survécu à YouTube, qui proposait le meme type de contenus gratuitement et massivement. Youtube a fait beaucoup d’ombre à Nolife.
La particularité de Nolife c’était ce croisement entre la "télé de potes" underground (tendance Wayne’s World), la joie des libres antennes des années 90, et cet aspect "vivier à clips" à la MTV…Ce cocktail n’a-t-il pas dérouté ?
Nolife était un sentier télévisuel assez abscons pour beaucoup, une forme d’expression vraiment punk à sa manière. ! La première fois que les gens sont tombés dessus ils se sont dit “mais qu’est ce que c’est que ça ?!” (il rit). Marcus (figure iconique de la chaîne Game One et animateur sur Nolife de Chez Marcus) m’avait assuré : “‘c’est la seule chaîne de télé où les animateurs portent des t shirts et ont les dents jaunes !”. L’idée d’Alex Pilot n'était pas de faire dans le glamour, mais d’offrir l’antenne à des gens qui savent de quoi ils parlent.
Avec Nolife, on jouait avec le fait qu’on n’avait jamais de pognon. On ne cachait rien aux gens. On leur a montré que la télévision, ce n’était pas que des paillettes, alors que même sur YouTube aujourd’hui, tu retrouves cette nécessité très télévisuelle du “paraître”. Mais c’était tout l’inverse qui se passait sur Nolife, on ne trompait personne. Pour J’irais loler sur vos tombes, on avait pas d’argent pour le décor...Tant pis ! On l’a fait avec des bouts de carton et des marqueurs.
Nolife arrive quasiment dix ans après le lancement de Game One, l'une des premières chaînes de télévision française consacrées aux jeux vidéo. Peut-on l'envisager comme son enfant spirituel, un sale gosse un peu turbulent ?
Beaucoup de ceux qui ont fait Nolife ont commencé sur Game One. Mais Nolife n’était pas une resucée, la chaîne est née d’une toute autre volonté : le Japon ! Amener les gens à connaître la culture japonaise. Puis en revenir à tout ce que n’a pas une chaîne déjà bien installée, à savoir ce côté do it yourself sans pognon, on l’on s’amuse à la télévision, où l’on fait n’importe quoi à l’antenne, en restant toujours juste et méticuleux dans ce que l’on raconte.
Nolife proposait un choix varié d'animés en version originale sous-titrée (City Hunter, Berserk...) et a diffusé des chef d'oeuvres du genre commeParanoïa Agent ou Samurai Champloo. N'y avait il pas ce besoin libératoire d’explorer la culture japonaise tout en s’éloignant le plus possible du Club Dorothée ?
Ne parle surtout pas à Sébastien Ruchet et Alexandre Pilot du Club Dorothée ! Pour eux c’est le gangbang de l’animation japonaise ! (rires) Avec toutes ces chansons changées en VF, ces adaptations horripilantes et horrifiantes de séries animées. Nolife représente justement l’arrivée à la télévision de gens conscients et décus de tout ce qui a précédé, et qui l’affirment : “avec nous, ce ne sera pas comme ça”. On s’est dit qu’il ne fallait pas prendre les gens pour des cons.
Aujourd'hui encore, les chaînes de télé diffusent des choses sans savoir ce qu’elles diffusent. Si un dessin animé marche, elles vont le diffuser n’importe comment et pour de mauvaises raisons, sans savoir ce qu’elles diffusent. A Nolife, quand un animé ou un extrait de jeu vidéo était diffusé, on connaissait le nom de son compositeur, on le rencontrait parfois. Chaque série était choyée, aimée au préalable. Nolife n’avait pas d’argent, mais du temps, ce qui est une denrée rare à la télévision. Après, le manque de moyens avait ses avantages puisqu’il te force à imaginer, et façonne la débrouille. Moins tu as de moyens, plus tu es obligé d’inventer.
La situation économique de Nolife semblait des plus fragiles (redressement judiciaire en 2016, baisse des revenus publicitaires au fil des années, fuite progressive des investisseurs, etc). As-tu toujours eu l'impression que la chaîne était sur la corde raide, prête à fermer les portes le mois qui suivait ?
A Nolife, on n’avait pas de pognon du tout. La majorité des membres de l’équipe avait un boulot à côté. Entre 2007 et 2009 j’étais directeur artistique pour l’éditeur de dessins animés japonais Kaze. Quand ma journée de taf se terminait à 18h, je prenais le métro, j’allais à Nolife, et de dix huit heures à minuit, je bossais pour la chaîne. Les week end aussi. Mais en fait, on ne travaillait même pas, on faisait ce que l’on avait envie de faire, ce que l’on devait faire. Ça a duré deux ans, puis j’ai quitté Kaze quand la boîte Ankama a pu mettre de l’argent dans Nolife.
Durant deux ans j’ai donc fait animateur, créateur d’émissions, réalisateur, je m’occupais des mangas, de la pub. J’ai conçu le premier logo et la première pub de Nolife. On se démerdait entre nous, avec le peu que l’on avait, chacun faisait quatorze trucs différents. Nolife a commencé à grossir, grossir, grossir, mais toujours avec ces mêmes soucis d’annonceurs et de revenus publicitaires.
Nolife a eu une vie tumultueuse, d'abord sauvée de la déroute par l'arrivée de la société Ankama comme nouveau partenaire financier, puis par le financement participatif des fidèles abonnés...Crois-tu que cette finalité qui est la sienne aujourd'hui aurait pu être évitée ?
Nolife a toujours été sur la corde raide. Dans ces cas de fragilité économique, tu ne peux pas acheter de programmes donc c’est compliqué de concurrencer. Quand les let’s play sont arrivés sur YouTube, la chaîne a été dépassée. On aurait du faire plus tôt des émissions en direct, mais on n’avait pas encore assez d’argent. Certaines choses sont arrivées trop tard et d’autres trop tôt…Avec le recul, je pense qu’on aurait du proposer une chaîne payante.
Nolife proposait une multitude d'univers : culture comics, apprentissage du japonais, débats sur les jeux vidéo, cosplay, jeux de société, etc. Mais malgré sa patine pop, la chaîne ne s'est-elle pas cantonnée à un public de niche, ce qui lui a causé tort ?
Ce n’est que mon avis, mais je crois que Nolife aurait du davantage explorer l’univers du jeu vidéo, qui est plus ouvert et fédérateur, plutôt que d’insister sur les clips de J-pop (la musique pop japonaise). On s’en rend compte aujourd’hui. Plein de gens nous disaient à l’époque : “ah non, je ne regarde pas Nolife, chaque fois que je zappe, je tombe sur des clips de J-music !”. C’était quasiment devenu un running gag. La J-pop a toujours été et reste, en France, une culture de niche.
L’autre aspect de Nolife qui aurait pu être développé avec plus d’argent, c’est sa richesse en terme de web séries (Noob, Nerdz, Le visiteur du futur)...Si on avait un peu de pognon on aurait pu être les Studio 4 d’avant Studio 4 (la plateforme de webséries de France Télévisions) : diffuser plus de fictions avec de l’humour et de l’imaginaire. Cela aurait permit d’élargir le public. Mais cela coûtait trop cher.
Aujourd’hui, par leur rythme dynamique, leur format incisif, leur humour référentiel, certaines émissions qu’a pu proposer Nolife nous apparaissent comme intensément web. N’est ce pas curieux de penser la chaîne sous la seule optique de la télévision ?
Monsieur Poulpe et moi, en arrivant à Nolife, on rêvait de la télé car on avait grandi avec Nulle part ailleurs. Mais à la base, J’irai loler sur vos tombes devait être une émission radio ! Sauf que personne n’en voulait. Alors la vidéo est devenu notre moyen d’expression. Aujourd'hui, beaucoup de créateurs du web persiflent contre la télévision. Mais pour moi, télévision, web, peu importe. Tant qu’il y a la liberté, le sentiment que je travaille avec des gens qui font ce qu’ils font parce qu’ils aiment ce qu’ils font, pour de bonnes raisons... Sur YouTube tu trouves des gens qui engrangent énormément de pognon et dont les vidéos croulent sous la pub, et je trouve cela aussi inconfortable que des contraintes télé.
Un épisode de J’irais loler sur vos tombes met en vedette un Mouloud Achour incisif, avouant avoir fui la conformité de MTV, pour “ne pas devenir Cauet”. Nolife, c’était l’idéal d’une télé débarrassée de toutes ses conventions, d’une télévision sans filtre ?
En fait, Nolife a toujours su jouer avec ce que la télévision ne ferait jamais. Un jour, on a organisé sur Nolife ma soirée Nécrospective : une émission pour commémorer ma mort... Pour un Poisson d’Avril on a même fait un échange d'antenne avec l’équipe d’“Enorme TV. Tu imagines TF1 échanger sa place avec France 2 ? Improbable ! Puis bon, la mort de cette chaîne (la vraie) a également été annoncée un premier avril...il n’y a que sur Nolife que ce genre de choses arrivent.
Notre envie, c’était que nos spectateurs connaissent autant l’émission que ceux qui la font. C'est pour ces raisons que l'on proposait une émission comme Debug Mode, qui dévoilait les coulisses de Nolife. Cette chaîne, c'était comme de la télé-réalité, mais sans tout l’aspect voyeuriste. Cette proximité-là qu'on s'efforçait d'instaurer, elle se perd aujourd’hui à la télévision, alors les spectateurs vont la chercher sur YouTube...où s’instaure une proximité un peu “fake” dans la mesure où certaines YouTubeurs tournent dans des chambres qui en réalité sont des studios...
Au niveau du traitement des jeux vidéo ou de la culture japonaise à la télévision, ressens-tu une forme de frustration à te dire que rien n’a vraiment changé en onze ans ? C’est comme si Nolife avait balancé la balle et que personne ne l’avait renvoyé.
La télévision n’a pas suivi le mouvement qu’a lancé Nolife, et a été rapidement dépassée par l’impact de YouTube. Il y a dix ans les décideurs nous disaient qu’une émission de jeux vidéo à la télévision ne marcherait pas, car l’enfant éteindrait illico sa télé pour aller jouer aux jeux vidéo. C’est l’idée la plus débile qui soit ! Quand tu penses à la multiplication des consoles portables, cet argument est totalement déconnecté de la réalité. Ces gens là sont bloqués dans une époque lointaine et ne se rendent pas compte que si tu foutais Squeezie à un bon horaire sur une chaîne de télé pour qu’il te présente un jeu vidéo, il ferait exploser les audiences.
Nolife ne considérait pas le spectateur comme un consommateur passif mais l'incitait à conserver un regard critique sur les cultures populaires. Mais en onze ans, le traitement du geek a-t-il beaucoup évolué au sein des médias et de la société ?
Quand Nolife s’est lancé la médiatisation du geek était différente. On a tous été pris pour des cons ! Je me suis même retrouvé dans un épisode d’Envoyé Spécial consacré aux "adulescents" (rires) Au collège, quand tu étais geek, tu te retrouvais insulté, moqué, on te disait que tu n’aurais jamais de travail en t'intéressant à des choses qui n’intéressent personne...Mais aujourd’hui, le geek c’est chic. Parce que cette culture est devenue rentable, et donc respectable, ce qui est une logique dégueulasse (rires)
Nous, on est partis du principe que les gens qui nous regardent “savent” déjà. Que la pop culture était quelque chose d’acquis. On parlait de sujets geek avec sérieux. C’est hyper important de parler de la sf, de ce mec qui fait de sculptures en Lego…Tout le principe était là : traiter avec rigueur des sujets qui auraient généralement pour réaction : “mais on s’en fout !”. (rires)
Après l'annonce du premier avril, un twitto a décoché : “si tu n’as pas de vie, tu ne peux pas mourir”. Comment as-tu vécu la fin de la chaîne ?
La mort de Nolife a été annoncée la semaine dernière, et la chaîne devait s'arrêter le 9 avril. Puis finalement, les huissiers ont annoncé qu’elle aurait droit à une semaine de “survie” de plus avant la liquidation totale. Ce n’est pas nous qui décidons actuellement quand la chaîne sera en cessation de diffusion. Le projet #NolifeZombie propose des rediffusions des programmes de la chaîne “mort vivante”. En ce moment, on a l’impression que Nolife attend d'être débranchée...comme lorsqu’on débranche quelqu’un qui est sous respirateur (rires)
En lisant les articles les plus récents, je me suis dit que la mort de Nolife avait été bien mieux traitée par les médias que son lancement ! Mais ça fait mal de se dire qu’il faut parfois mourir...pour exister (rires). Présenter la dernière émission était une drôle d’expérience. Tu sais qu’après, il n’y aura plus rien. La situation est curieuse : on t’oblige à fermer la chaîne. Pour ne pas être trop chagriné, le meilleur moyen est de te projeter le plus vite possible vers la suite. Mais cette fin brutale de Nolife, c’est comme si tu devais préparer ton propre enterrement.
Lorsque l’on explore toute une partie du YouTube national, entre chaînes de vulgarisation culturelle "geek", chaînes référentielles et contenu vidéoludique (speed run, let's play, critiques), on se dit que Nolife nous laisse beaucoup d’héritiers. Mais quel regard portes-tu sur l’évolution de la chaîne sur une décennie ?
De 2007 à 2011 il y a eu un vivier de créations sur Nolife qui a influencé le reste. Puis il y a quelques cafouillages, des soucis d’argent, d’autres directions empruntées. Au fil des années, Nolife est devenue encore plus érudite mais a perdu en humour, alors que c’était une partie de son identité, cet équilibre constant entre sketchs et culture.
Nolife a lancé ma carrière. Quand tu regardes l'émission de Poulpe, Mange mon Geek, c’est une vraie mise en bouche des Recettes Pompettes. Sur YouTube, des créateurs comme Mcfly & Carlito ou FloBer (de Golden Moustache) ont été plus ou moins directement touchés par cette chaîne. Je crois que Nolife a influencé beaucoup plus de gens qu’elle n’a eu de spectateurs (il rit)
Lors de la soirée d'adieu, The End of [N]olife, tu t'es adressé aux "no life" de toujours : "Tu peux être fier. La culture ce n'est pas seulement des prix Goncourt et des opéras. La culture peut avoir des images, être 8-bit et porter un pyjama Pikachu.". Ce vers quoi tendait Nolife, est-ce cette idée d'acceptation de soi, d'ouverture à l'autre ?
Dans les conventions que j’ai pu faire avec l’équipe de Nolife, j’ai rencontré des geeks qui n’étaient pas bien dans leur peau, ou qui ne l’avaient pas été. Des derniers de la classe. Toute leur vie on leur a dit qu’ils étaient moins bons, moins forts, moins populaires, moins tout. Alors qu’ils ont un “plus” : une culture que les autres n’ont pas.
On en revient au message de Nolife : “il n’y a pas que la vraie vie dans la vie”. Ceux qui ont fait Nolife souhaitaient-ils nous dire que derrière la “vraie vie”, il y avait une infinité de vies possibles ? Comme pour un personnage surpuissant de jeux vidéo ?
Oui, c'est le propre de la culture de l’imaginaire. Aujourd’hui, ce sont les geeks qui ont le pouvoir, à Hollywood et ailleurs. On a fait de cette expression méprisante qu’était “nolife” une force. On a pris le terme à contrepied. A l’époque, ma psy m’avait dit : “mais enfin, comment voulez vous qu’une chaîne qui s’appelle Nolife fonctionne ? Si vous-même, vous avouez que vous n’avez pas de vie ?!” (rires). Ouais, pour une chaîne qui n’a pas de vie, tenir onze ans, c’est pas mal.
Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on ne faisait pas tout ça pour gagner notre vie. On faisait tout ca parce que c’était notre vie. Quand tous ces gens nous regardaient, ils ressentaient et comprenaient notre passion. L'idée en fin de compte est qu'il n’y a pas de passion déshonorante. Que tu t’éclates à peindre des petits bonhommes de plomb, à pimper ta bagnole, à jouer aux Lego...si cela te rend heureux, fais-le ! Il faut arrêter de donner des leçons sous couvert du “bien vivre”. Comme si “bien vivre”, c’était forcément avoir une femme, un crédit, un chien, une maison.
Le message de Nolife au final est celui d’Orelsan dans Notes pour trop tard : “En gros, tous les trucs où les gens disent : "Tu perds ton temps" Faut qu'tu t'mettes à fond d'dans et qu'tu t'accroches longtemps”...
Source
Et aussi :
Tu as animé plusieurs émissions sur Nolife : le magazine 101 %, le talk-show J'irais loler sur vos tombes (avec Monsieur Poulpe), l'émission de bandes dessinées Roadstrip, le "courrier des lecteurs" Le Coin des abonnés...Comment et quand as tu débarqué sur ce projet un peu fou de chaîne télévisée ?
Depuis 1999-2000 je traînais pas mal dans le milieu des salons de bandes dessinées et des festivals de culture geek et otaku, type Japan expo. C'est là que j'ai découvert les films amateurs d'Alex Pilot, futur cofondateur et directeur des programmes de Nolife : il s'est forgé une petite réputation en shootant des films chez lui, où il se déguisait en super héros, en icône japonaise, avec tout ce mix de sous culture qui ensuite fera Nolife. J’étais tombé sur ses créations en zappant sur la chaîne de télévision Game One. Je me suis dit qu’il fallait à tout prix que je fasse ca : des sketchs dans l’esprit des Nuls et des Inconnus, mais influencés par des comics, dessins animés et jeux vidéo comme Batman et Robin et Resident Evil, des trucs de geeks qu'on pourrait diffuser dans les festivals de films amateurs.
Avec Didier Richard et Rémy Argaud, j'ai donc créé en 2000 l'association 'Une case en moins', pour diffuser des courts-métrages sur Internet. On s’est fait connaître en conventions, on a remporté quelques prix, on s’est fait repérer par Game One...Puis un jour on se fait contacter par Alex Pilot. Lors d'une soirée, il nous dit qu’il s’est rendu compte d'un truc formidable : avec mille euros par mois, on peut diffuser nos propres programmes sur une box ADSL, et sur notre propre chaîne !...Sébastien Ruchet et Alex Pilot ont donc eu l’idée de Nolife en 2006-2007 et la chaîne s’est finalement lancée le premier juin 2007. On leur a filé nos 110 courts métrages amateurs pour qu'ils les diffusent. Faire vingt quatre heures d'émissions par jour c’était impossible, ils se sont donc lancé un but : proposer au moins une heure de nouveaux programmes par jour.
A l’époque je regardais énormément Friends. J’avais envie de faire une série geek de cinq, six minutes maximum : on a donc créé avec Didier Richard et Monsieur Poulpe la première saison de Nerdz, shootée sur le canapé de mon salon, pour un budget d'à peu près zéro euro. Une série nerdy d'avant The Big Bang Theory !
Que représentait alors Nolife a tes yeux ?
C’était comme un rêve auquel on n'avait pas rêvé. (il rit). De nos canapés, on aurait pas pu imaginer le quart de ça : des potes qui lancent une chaîne de télé, et tu te retrouves dessus...Dès le début, j’ai été voir Alex et lui ai dit que j’avais toujours rêvé d'être animateur télé. Il m’a dit qu’il y aurait sur Nolife une sorte de journal de 20h baptisé 101 %. Je me suis donc mis à l'animer un jour sur deux. Tu imagines ? C’est surréaliste ! Je suis petit, chauve, loin d’être le plus beau mec du monde. Je suis un geek. Bref, je n'imaginais pas animer une émission de télé un jour dans ma vie.
Nolife arrive à l’heure de la box ADSL et des forums geek, de Dailymotion, deux ans seulement après la création de YouTube, alors que la culture comic books est mieux comprise en France...Ne débarque-t-elle pas au bon endroit au bon moment ?
Nolife était un média précurseur, la première chaîne à diffuser de la musique japonaise à la télévision française, à mettre en avant le "hardcore gaming" avec l'émission Superplay... Bien avant la mode mondiale de l’e-sport, les vidéos de let’s play qui envahiront les plateformes de vidéos, et bien avant la création des services de streaming populaires comme Twitch ! Nolife était à la fois dans l’air du temps et trop en avance. C’est une chaîne qui a influencé tout un pan de la création du YouTube français mais sans parvenir à concurrencer YouTube. Ironiquement, Nolife n’a pas survécu à YouTube, qui proposait le meme type de contenus gratuitement et massivement. Youtube a fait beaucoup d’ombre à Nolife.
La particularité de Nolife c’était ce croisement entre la "télé de potes" underground (tendance Wayne’s World), la joie des libres antennes des années 90, et cet aspect "vivier à clips" à la MTV…Ce cocktail n’a-t-il pas dérouté ?
Nolife était un sentier télévisuel assez abscons pour beaucoup, une forme d’expression vraiment punk à sa manière. ! La première fois que les gens sont tombés dessus ils se sont dit “mais qu’est ce que c’est que ça ?!” (il rit). Marcus (figure iconique de la chaîne Game One et animateur sur Nolife de Chez Marcus) m’avait assuré : “‘c’est la seule chaîne de télé où les animateurs portent des t shirts et ont les dents jaunes !”. L’idée d’Alex Pilot n'était pas de faire dans le glamour, mais d’offrir l’antenne à des gens qui savent de quoi ils parlent.
Avec Nolife, on jouait avec le fait qu’on n’avait jamais de pognon. On ne cachait rien aux gens. On leur a montré que la télévision, ce n’était pas que des paillettes, alors que même sur YouTube aujourd’hui, tu retrouves cette nécessité très télévisuelle du “paraître”. Mais c’était tout l’inverse qui se passait sur Nolife, on ne trompait personne. Pour J’irais loler sur vos tombes, on avait pas d’argent pour le décor...Tant pis ! On l’a fait avec des bouts de carton et des marqueurs.
Nolife arrive quasiment dix ans après le lancement de Game One, l'une des premières chaînes de télévision française consacrées aux jeux vidéo. Peut-on l'envisager comme son enfant spirituel, un sale gosse un peu turbulent ?
Beaucoup de ceux qui ont fait Nolife ont commencé sur Game One. Mais Nolife n’était pas une resucée, la chaîne est née d’une toute autre volonté : le Japon ! Amener les gens à connaître la culture japonaise. Puis en revenir à tout ce que n’a pas une chaîne déjà bien installée, à savoir ce côté do it yourself sans pognon, on l’on s’amuse à la télévision, où l’on fait n’importe quoi à l’antenne, en restant toujours juste et méticuleux dans ce que l’on raconte.
Nolife proposait un choix varié d'animés en version originale sous-titrée (City Hunter, Berserk...) et a diffusé des chef d'oeuvres du genre commeParanoïa Agent ou Samurai Champloo. N'y avait il pas ce besoin libératoire d’explorer la culture japonaise tout en s’éloignant le plus possible du Club Dorothée ?
Ne parle surtout pas à Sébastien Ruchet et Alexandre Pilot du Club Dorothée ! Pour eux c’est le gangbang de l’animation japonaise ! (rires) Avec toutes ces chansons changées en VF, ces adaptations horripilantes et horrifiantes de séries animées. Nolife représente justement l’arrivée à la télévision de gens conscients et décus de tout ce qui a précédé, et qui l’affirment : “avec nous, ce ne sera pas comme ça”. On s’est dit qu’il ne fallait pas prendre les gens pour des cons.
Aujourd'hui encore, les chaînes de télé diffusent des choses sans savoir ce qu’elles diffusent. Si un dessin animé marche, elles vont le diffuser n’importe comment et pour de mauvaises raisons, sans savoir ce qu’elles diffusent. A Nolife, quand un animé ou un extrait de jeu vidéo était diffusé, on connaissait le nom de son compositeur, on le rencontrait parfois. Chaque série était choyée, aimée au préalable. Nolife n’avait pas d’argent, mais du temps, ce qui est une denrée rare à la télévision. Après, le manque de moyens avait ses avantages puisqu’il te force à imaginer, et façonne la débrouille. Moins tu as de moyens, plus tu es obligé d’inventer.
La situation économique de Nolife semblait des plus fragiles (redressement judiciaire en 2016, baisse des revenus publicitaires au fil des années, fuite progressive des investisseurs, etc). As-tu toujours eu l'impression que la chaîne était sur la corde raide, prête à fermer les portes le mois qui suivait ?
A Nolife, on n’avait pas de pognon du tout. La majorité des membres de l’équipe avait un boulot à côté. Entre 2007 et 2009 j’étais directeur artistique pour l’éditeur de dessins animés japonais Kaze. Quand ma journée de taf se terminait à 18h, je prenais le métro, j’allais à Nolife, et de dix huit heures à minuit, je bossais pour la chaîne. Les week end aussi. Mais en fait, on ne travaillait même pas, on faisait ce que l’on avait envie de faire, ce que l’on devait faire. Ça a duré deux ans, puis j’ai quitté Kaze quand la boîte Ankama a pu mettre de l’argent dans Nolife.
Durant deux ans j’ai donc fait animateur, créateur d’émissions, réalisateur, je m’occupais des mangas, de la pub. J’ai conçu le premier logo et la première pub de Nolife. On se démerdait entre nous, avec le peu que l’on avait, chacun faisait quatorze trucs différents. Nolife a commencé à grossir, grossir, grossir, mais toujours avec ces mêmes soucis d’annonceurs et de revenus publicitaires.
Nolife a eu une vie tumultueuse, d'abord sauvée de la déroute par l'arrivée de la société Ankama comme nouveau partenaire financier, puis par le financement participatif des fidèles abonnés...Crois-tu que cette finalité qui est la sienne aujourd'hui aurait pu être évitée ?
Nolife a toujours été sur la corde raide. Dans ces cas de fragilité économique, tu ne peux pas acheter de programmes donc c’est compliqué de concurrencer. Quand les let’s play sont arrivés sur YouTube, la chaîne a été dépassée. On aurait du faire plus tôt des émissions en direct, mais on n’avait pas encore assez d’argent. Certaines choses sont arrivées trop tard et d’autres trop tôt…Avec le recul, je pense qu’on aurait du proposer une chaîne payante.
Nolife proposait une multitude d'univers : culture comics, apprentissage du japonais, débats sur les jeux vidéo, cosplay, jeux de société, etc. Mais malgré sa patine pop, la chaîne ne s'est-elle pas cantonnée à un public de niche, ce qui lui a causé tort ?
Ce n’est que mon avis, mais je crois que Nolife aurait du davantage explorer l’univers du jeu vidéo, qui est plus ouvert et fédérateur, plutôt que d’insister sur les clips de J-pop (la musique pop japonaise). On s’en rend compte aujourd’hui. Plein de gens nous disaient à l’époque : “ah non, je ne regarde pas Nolife, chaque fois que je zappe, je tombe sur des clips de J-music !”. C’était quasiment devenu un running gag. La J-pop a toujours été et reste, en France, une culture de niche.
L’autre aspect de Nolife qui aurait pu être développé avec plus d’argent, c’est sa richesse en terme de web séries (Noob, Nerdz, Le visiteur du futur)...Si on avait un peu de pognon on aurait pu être les Studio 4 d’avant Studio 4 (la plateforme de webséries de France Télévisions) : diffuser plus de fictions avec de l’humour et de l’imaginaire. Cela aurait permit d’élargir le public. Mais cela coûtait trop cher.
Aujourd’hui, par leur rythme dynamique, leur format incisif, leur humour référentiel, certaines émissions qu’a pu proposer Nolife nous apparaissent comme intensément web. N’est ce pas curieux de penser la chaîne sous la seule optique de la télévision ?
Monsieur Poulpe et moi, en arrivant à Nolife, on rêvait de la télé car on avait grandi avec Nulle part ailleurs. Mais à la base, J’irai loler sur vos tombes devait être une émission radio ! Sauf que personne n’en voulait. Alors la vidéo est devenu notre moyen d’expression. Aujourd'hui, beaucoup de créateurs du web persiflent contre la télévision. Mais pour moi, télévision, web, peu importe. Tant qu’il y a la liberté, le sentiment que je travaille avec des gens qui font ce qu’ils font parce qu’ils aiment ce qu’ils font, pour de bonnes raisons... Sur YouTube tu trouves des gens qui engrangent énormément de pognon et dont les vidéos croulent sous la pub, et je trouve cela aussi inconfortable que des contraintes télé.
Un épisode de J’irais loler sur vos tombes met en vedette un Mouloud Achour incisif, avouant avoir fui la conformité de MTV, pour “ne pas devenir Cauet”. Nolife, c’était l’idéal d’une télé débarrassée de toutes ses conventions, d’une télévision sans filtre ?
En fait, Nolife a toujours su jouer avec ce que la télévision ne ferait jamais. Un jour, on a organisé sur Nolife ma soirée Nécrospective : une émission pour commémorer ma mort... Pour un Poisson d’Avril on a même fait un échange d'antenne avec l’équipe d’“Enorme TV. Tu imagines TF1 échanger sa place avec France 2 ? Improbable ! Puis bon, la mort de cette chaîne (la vraie) a également été annoncée un premier avril...il n’y a que sur Nolife que ce genre de choses arrivent.
Notre envie, c’était que nos spectateurs connaissent autant l’émission que ceux qui la font. C'est pour ces raisons que l'on proposait une émission comme Debug Mode, qui dévoilait les coulisses de Nolife. Cette chaîne, c'était comme de la télé-réalité, mais sans tout l’aspect voyeuriste. Cette proximité-là qu'on s'efforçait d'instaurer, elle se perd aujourd’hui à la télévision, alors les spectateurs vont la chercher sur YouTube...où s’instaure une proximité un peu “fake” dans la mesure où certaines YouTubeurs tournent dans des chambres qui en réalité sont des studios...
Au niveau du traitement des jeux vidéo ou de la culture japonaise à la télévision, ressens-tu une forme de frustration à te dire que rien n’a vraiment changé en onze ans ? C’est comme si Nolife avait balancé la balle et que personne ne l’avait renvoyé.
La télévision n’a pas suivi le mouvement qu’a lancé Nolife, et a été rapidement dépassée par l’impact de YouTube. Il y a dix ans les décideurs nous disaient qu’une émission de jeux vidéo à la télévision ne marcherait pas, car l’enfant éteindrait illico sa télé pour aller jouer aux jeux vidéo. C’est l’idée la plus débile qui soit ! Quand tu penses à la multiplication des consoles portables, cet argument est totalement déconnecté de la réalité. Ces gens là sont bloqués dans une époque lointaine et ne se rendent pas compte que si tu foutais Squeezie à un bon horaire sur une chaîne de télé pour qu’il te présente un jeu vidéo, il ferait exploser les audiences.
Nolife ne considérait pas le spectateur comme un consommateur passif mais l'incitait à conserver un regard critique sur les cultures populaires. Mais en onze ans, le traitement du geek a-t-il beaucoup évolué au sein des médias et de la société ?
Quand Nolife s’est lancé la médiatisation du geek était différente. On a tous été pris pour des cons ! Je me suis même retrouvé dans un épisode d’Envoyé Spécial consacré aux "adulescents" (rires) Au collège, quand tu étais geek, tu te retrouvais insulté, moqué, on te disait que tu n’aurais jamais de travail en t'intéressant à des choses qui n’intéressent personne...Mais aujourd’hui, le geek c’est chic. Parce que cette culture est devenue rentable, et donc respectable, ce qui est une logique dégueulasse (rires)
Nous, on est partis du principe que les gens qui nous regardent “savent” déjà. Que la pop culture était quelque chose d’acquis. On parlait de sujets geek avec sérieux. C’est hyper important de parler de la sf, de ce mec qui fait de sculptures en Lego…Tout le principe était là : traiter avec rigueur des sujets qui auraient généralement pour réaction : “mais on s’en fout !”. (rires)
Après l'annonce du premier avril, un twitto a décoché : “si tu n’as pas de vie, tu ne peux pas mourir”. Comment as-tu vécu la fin de la chaîne ?
La mort de Nolife a été annoncée la semaine dernière, et la chaîne devait s'arrêter le 9 avril. Puis finalement, les huissiers ont annoncé qu’elle aurait droit à une semaine de “survie” de plus avant la liquidation totale. Ce n’est pas nous qui décidons actuellement quand la chaîne sera en cessation de diffusion. Le projet #NolifeZombie propose des rediffusions des programmes de la chaîne “mort vivante”. En ce moment, on a l’impression que Nolife attend d'être débranchée...comme lorsqu’on débranche quelqu’un qui est sous respirateur (rires)
En lisant les articles les plus récents, je me suis dit que la mort de Nolife avait été bien mieux traitée par les médias que son lancement ! Mais ça fait mal de se dire qu’il faut parfois mourir...pour exister (rires). Présenter la dernière émission était une drôle d’expérience. Tu sais qu’après, il n’y aura plus rien. La situation est curieuse : on t’oblige à fermer la chaîne. Pour ne pas être trop chagriné, le meilleur moyen est de te projeter le plus vite possible vers la suite. Mais cette fin brutale de Nolife, c’est comme si tu devais préparer ton propre enterrement.
Lorsque l’on explore toute une partie du YouTube national, entre chaînes de vulgarisation culturelle "geek", chaînes référentielles et contenu vidéoludique (speed run, let's play, critiques), on se dit que Nolife nous laisse beaucoup d’héritiers. Mais quel regard portes-tu sur l’évolution de la chaîne sur une décennie ?
De 2007 à 2011 il y a eu un vivier de créations sur Nolife qui a influencé le reste. Puis il y a quelques cafouillages, des soucis d’argent, d’autres directions empruntées. Au fil des années, Nolife est devenue encore plus érudite mais a perdu en humour, alors que c’était une partie de son identité, cet équilibre constant entre sketchs et culture.
Nolife a lancé ma carrière. Quand tu regardes l'émission de Poulpe, Mange mon Geek, c’est une vraie mise en bouche des Recettes Pompettes. Sur YouTube, des créateurs comme Mcfly & Carlito ou FloBer (de Golden Moustache) ont été plus ou moins directement touchés par cette chaîne. Je crois que Nolife a influencé beaucoup plus de gens qu’elle n’a eu de spectateurs (il rit)
Lors de la soirée d'adieu, The End of [N]olife, tu t'es adressé aux "no life" de toujours : "Tu peux être fier. La culture ce n'est pas seulement des prix Goncourt et des opéras. La culture peut avoir des images, être 8-bit et porter un pyjama Pikachu.". Ce vers quoi tendait Nolife, est-ce cette idée d'acceptation de soi, d'ouverture à l'autre ?
Dans les conventions que j’ai pu faire avec l’équipe de Nolife, j’ai rencontré des geeks qui n’étaient pas bien dans leur peau, ou qui ne l’avaient pas été. Des derniers de la classe. Toute leur vie on leur a dit qu’ils étaient moins bons, moins forts, moins populaires, moins tout. Alors qu’ils ont un “plus” : une culture que les autres n’ont pas.
On en revient au message de Nolife : “il n’y a pas que la vraie vie dans la vie”. Ceux qui ont fait Nolife souhaitaient-ils nous dire que derrière la “vraie vie”, il y avait une infinité de vies possibles ? Comme pour un personnage surpuissant de jeux vidéo ?
Oui, c'est le propre de la culture de l’imaginaire. Aujourd’hui, ce sont les geeks qui ont le pouvoir, à Hollywood et ailleurs. On a fait de cette expression méprisante qu’était “nolife” une force. On a pris le terme à contrepied. A l’époque, ma psy m’avait dit : “mais enfin, comment voulez vous qu’une chaîne qui s’appelle Nolife fonctionne ? Si vous-même, vous avouez que vous n’avez pas de vie ?!” (rires). Ouais, pour une chaîne qui n’a pas de vie, tenir onze ans, c’est pas mal.
Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on ne faisait pas tout ça pour gagner notre vie. On faisait tout ca parce que c’était notre vie. Quand tous ces gens nous regardaient, ils ressentaient et comprenaient notre passion. L'idée en fin de compte est qu'il n’y a pas de passion déshonorante. Que tu t’éclates à peindre des petits bonhommes de plomb, à pimper ta bagnole, à jouer aux Lego...si cela te rend heureux, fais-le ! Il faut arrêter de donner des leçons sous couvert du “bien vivre”. Comme si “bien vivre”, c’était forcément avoir une femme, un crédit, un chien, une maison.
Le message de Nolife au final est celui d’Orelsan dans Notes pour trop tard : “En gros, tous les trucs où les gens disent : "Tu perds ton temps" Faut qu'tu t'mettes à fond d'dans et qu'tu t'accroches longtemps”...
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