dimanche 17 février 2019

Ces fausses idées sur le combat historique que nous ont fait croire les jeux de rôles et les jeux vidéo...

Les jeux vidéos sont probablement l’entrée la plus courante vers le monde du combat historique (ou historique-fantastique). Or, les premiers créateurs de ce type de jeux vidéos piochaient presque exclusivement leurs référence dans les jeux de rôle « papier ». La vision de l’histoire des pionniers du jeu de rôle a ainsi influencé les jeux suivants qui ont influencé les jeux vidéos. Tout d’abord ; précisons que ces pionniers du Jdr évoluaient dans les années 1970, à une époque où, sans internet, l’accès à la connaissance était beaucoup plus difficile que de nos jours, surtout pour des non spécialistes. Or, des spécialistes de l’Histoire ou de l’escrime ils n’étaient pas, la plupart étaient étudiants dans des universités de sciences et avaient une vision et une connaissance des réalités historiques d’amateurs passionnés. Ils ont logiquement fait de nombreuses erreurs (volontairement ou non ?) qui se sont ensuite répercutées.


Non l’épée longue n’est pas une épée à une main à longue lame :

Malgré l’imprécision des dénominations au Moyen-Âge et à la Renaissance, quelle que soit la langue employée quand on parle d’épée longue, il s’agit toujours d’une épée maniée principalement à deux mains, jamais d’une épée à une main. D’ailleurs certains jeux de rôle comme Stormbringer ont conservé le terme dans son acceptation exacte.


Une épée longue historique exposée au Musée de l'Armée, vers 1470-1500, 1,26m et 1,24kg


… d’ailleurs les soldats de l’Antiquité, du Moyen-âge ou de l’époque Moderne n’étaient pas principalement armés d’épées :

L’arme principale des combattants historiques, la plus répandue du moins, a toujours été, à de rares exceptions près (la légion romaine en est une de taille), la lance. La lance ça ne coûte pas bien cher à produire, on apprend les bases assez vite et c’est une arme redoutable. En combat individuel elle donne une grande allonge difficile à vaincre, d’autant qu’on peut allonger ou raccourcir sa prise voire frapper avec la queue si on est trop près. En groupe c’est une forêt de pointes mortelles que vous avez en face de vous. Avec une arme aussi bon marché et aussi efficace il n’y a rien d’étonnant qu’elle ait été employée au combat de la préhistoire au XVIIIème siècle où elle a été supplantée par le fusil à baïonnette qui n’est rien d’autre que la combinaison d’un fusil et d’une lance.


Non, l’armure de cuir clouté n’a jamais existé :

Quand on y réfléchit c’est d’ailleurs ridicule de penser que quelques clous sur du cuir vont améliorer la défense contre des coups de taille ou d’estoc ! En fait il s’agit probablement d’une mauvaise interprétation de la cotte de plates ou de la brigandine, des armures très répandues aux XIVème et XVème siècles constituées de plaques ou d’écailles de métal rivetées entre deux couches de tissu… ou de cuir. Les fameux clous que l’on voit sont en fait les rivets des plaques d’acier. Il s’agit d’une armure lourde (les modèles de reconstitution font bien 5-6 kgs soit le même poids, voir plus lourd qu’un cuirasse de plates) offrant un peu plus de liberté de mouvement à son porteur et non d’une armure légère ou « intermédiaire » comme dans les jeux de rôles ou les jeux vidéos.


Intérieur d'une brigandine (Italie XVème siècle)


… d’ailleurs l’armure de cuir non plus n’a (presque) jamais existé :

Honnêtement, vous pensez vraiment que du cuir épais allait vous protéger d’un coup d’estoc asséné par une épée ou une lance ? Même un bon coup de taille bien donné a de forte chance de vous blesser cruellement. On n’a pas vraiment retrouvé d’armures de cuir au Moyen-âge ce qui est logique vu que le cuir se conserve moins bien que le métal, mais on n’en voit pas non plus dans les représentations iconographiques et elle n’est pas non plus mentionnée dans les textes. Bon, en cherchant bien on va quand même trouver, à la marge, deux exemples d’armures de cuir en Europe : à l’époque viking, les armures d’écailles de cuir bouilli des Varègues et des Rus directement empruntées aux Mongols et les buffletins (des veste de cuir extrêmement épaisses, d’au moins 5mm) des cavaliers et piétons des armées du XVIIème siècle. L’armure des Mongols serait censée arrêter les flèches et le Sieur de Gaya, dans son Traité des armes de 1678, nous dit que le buffletin est efficace contre les épées (il faudrait tester mais on doute qu’un estoc ne pénètre pas par contre). En dehors de ces exemples à la marge toutes les armures étaient en acier (mailles, écailles ou plates), portées par-dessus des vêtements rembourrés pour amortir les coups.
"Quoique les buffles ne soient proprement que des habillements de cavaliers, nous pouvons aisément les mettre au nombre des armes défensives, plus qu'ils peuvent aisément résister à l'épée, lorsqu'ils sont d'une peau bien choisie"
Louis de Gaya - Traité des armes 1678


Buffletin (aux alentours de 1650) conservé au musée de Leeds


Non, dans un combat ce n’est pas forcément le plus rapide qui frappe en premier :

Il ne s’agit pas ici d’un duel de type western spaghetti. Pour gagner il ne faut pas attaquer le premier mais bien attaquer, c’est-à-dire de tromper sa défense sans se faire toucher. Cela peut impliquer une préparation d’attaque mais aussi de faire en sorte que votre adversaire vous attaque là où vous le voulez pour mieux le cueillir ensuite, en riposte ou en contre-attaque (aux mains par exemple). Tous les Maîtres d’armes et les combattants confirmés vous le diront, celui qui maîtrise son adversaire aura (en principe) le dessus. Les règles de Jdr faisant agir les combattants chacun son tour en fonction de son initiative n’ont donc aucun sens.

"Ce jeu se nomme le coup du vilain (de la brute) et se fait de cette manière : on doit attendre que le vilain envoie son épée, et celui qui attend le coup doit rester en petit pas avec le pied gauche devant. Et dès que le vilain tire le coup, avance le pied gauche hors de la ligne vers son côté droit. Et avec le droit, passe à la traverse hors de la ligne en saisissant son coup au milieu de ton épée. Et laisse son épée aller à terre et réponds immédiatement avec un fendant pour la tête ou pour les bras, ou avec un estoc à la poitrine comme il est dépeint. Ce jeu est également bon avec l’épée contre la hache, contre un bâton lourd ou léger."
Fior du Battaglia - Fiore dei Liberi fin XIVème-début XVème siècle (trad. Benjamin Conan - Association De Taille et d'Estoc)




…d’ailleurs la feinte n’est pas une compétence spéciale mais presque la base du talent d’un combattant :

Qu’elle soit effectuée avec l’arme, les jambes, le corps, la tromperie est à la base du combat. Un bon combattant n’attaque pas directement, il prépare son attaque par des tromperies. Faire de la feinte une compétence ou un talent spécifique n’est donc pas vraiment pertinent en terme de simulation.


Non, une dague n’est pas une arme qui fait peu de dégâts :

Vous avez envie de prendre un coup de couteau ? Non probablement, parce qu’au fond vous savez que vous pouvez en mourir autant que d’un coup d’épée, d’ailleurs vous êtes tout autant transpercé. Pourtant, les dagues sont toujours ridiculement inoffensives dans la plupart des jeux de rôles ou jeux vidéo, impossible de tuer d’un coup de dague (sauf si on est un assassin qui fait une attaque sournoise de la mort). Le problème de la dague n’est pas les blessures qu’elle occasionne mais sa faible allonge par rapport aux autres armes et des difficultés qu’elle peut avoir à les parer.


Extrait de la Bible de Maciejowski (1245) où l'on voit les partisans des David et du fils de Saul se massacrer joyeusement à coups de dagues.


…d’ailleurs, on ne peut pas ne plus continuer le combat après de multiples blessures :

Bon d’accord il s’agit ici de relativiser, des estafilades, des bleus etc. voire, éventuellement, une blessure à l’abdomen (dont vous mourrez pourtant de façon certaine dans les dix jours, d’une infection) peuvent vous permettre de continuer le combat. Mais pour la plupart des blessures effectuées par des armes tranchantes ou pointues vous serez incapable de continuer le combat. Donc les multiples points de vie, les blessures constantes, on oublie, mais ça vous le saviez probablement déjà.

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