A découvrir ou a redécouvrir (l'album ayant presque trente ans, et les aventures relatées quarante), par un auteur des années soixante indispensable mais assez peu publié en France : Jim Steranko, sorte de Jack Kirby sous acides, nous contant des aventures assez démentielles d'un Nick Fury sous influence de pop culture, récits d'espionnages décalés et semi-parodiques. Du tout bon pour amateur de comics estampillés 60's.
Nick Fury, c'est la synthèse de James Bond (enfin, de The Man From Uncle, si on en croit Stan The Man) et des super-héros Marvel. Quant à James Steranko, un singulier personnage : dessinateur de BD, artiste de l'évasion (Kirby se serait inspiré de lui pour Mister Miracle) puis prisonnier pour de vrai (pour cambriolages et vols à main armée !), il marqua durablement les pages de Nick Fury, Agent of the S.H.I.E.L.D. (devenu chez nous le S.E.R.V.O. l'espace d'un album).
Fury débute sa carrière aux USA dans son propre comic book, N°1, de Mai 1963. Les histoires, scénarisées par Stan Lee sont dessinées par Jack Kirby. Elles serrent de près la réalité d'engagements lors de la seconde guerre mondiale. Kirby -le dessinateur- y "injecte" des événements réels qui lui sont arrivés pendant son temps à l'armée. Du vécu de chez vécu !...Un excellent travail graphique, au trait réaliste qui permet d'apprécier son sens de la dynamique, de dialogues percutants et -surtout- de mises en pages parfois spectaculaires. Pourtant, Fury aura -pour ainsi dire- deux vies; la première, en tant que soldat-combattant, jusqu'au début des années 70. Mais déjà, en 1965, ses auteurs d'alors le "dédoublent" dans une autre série. Fury y apparaît, légèrement vieilli, en tant que responsable du S.H.I.E.L.D. (le "bouclier"); une organisation para militaire. Et c'est tout aussi costaud : lui et son équipe vont mener des missions plus que compliquées, être confrontés aux criminels les plus endurcis. Au gré des épisodes, cet espèce de pirate moderne (Nick porte un bandeau noir sur l'œil gauche) va essayer de déjouer d'incroyables complots organisés par les ennemis de l'Amérique, "SON" Amérique. Et ça déménage tout autant ! Créée donc par Stan Lee et dessinée par Jack Kirby, cette série passera dès 1967 et dans le présent album, aux mains de Jim Steranko qui en poursuivra sa destinée graphique et textuelle. Une très belle série donc, peu connue, si pas oubliée d'une grande partie du lectorat actuel; une saga vraiment jouissive, pleine de démesure, qui fait la part belle à de la formidable action soutenue par des scénarios "en béton". Trop "dure", trop sanglante, serrant de trop près la réalité d'époque ? Cette série n'est jamais parue en France, sous forme d'épisodes à suivre dans un quelconque périodique.
Cinq épisodes sont repris dans cet album :
- Qui est Scorpio ?
- Ecole d'Espions
- Jour Fin du Monde (Doomsday)
- Lune sombre monte, chien d'enfer tue.
- Qu'est devenu Scorpio ?
Ces quelques histoires sont des one shots et témoignent de la variété des ambiances abordées dans la série : récit d'espionnage, policier, épouvante, science-fiction, super-héros...
La première histoire introduit Scorpio qui réapparaît dans l'épisode qui ferme l'album, un vilain voué à la perte de Fury et qui sera appelé à jouer un grand rôle dans la vie de l'espion par la suite... La trame principale du récit (Scorpio tend un piège mortel à Fury près de Las Vegas) se double d'une intrigue secondaire, celle des destins croisés d'une petite frappe de Vegas aux dents longue et d'un comique raté perclus de dettes qui connaîtront une fin tragique... Ambiance tragique et violente de polar noir pour ce premier épisode...
L'épisode suivant donne l'occasion de pénétrer les coulisses du S.E.R.V.O. : caches, entraînement rigoureux des espions... Fury fait une démonstration de combat à mains nues avec Captain America... Et l'épisode introduit deux personnages importants de la série, Sydney E. Levine dit "Gaffer" ("La gaffe" en VF), le Q de Fury, et la comtesse Valentina Allegro de Fontaine, aux charmes de laquelle l'espion n'est pas insensible...
Passons sur Doomsday, histoire de SF qui ne s'avère n'être qu'un rêve (mais qui présente l'agent Jimmy Woo dans un subplot - c.à.d. une scène indépendante de l'action principale mais qui introduit des éléments pour un développement à venir) pour s'intéresser à Lune sombre...
Le récit se déroule en Ecosse près du Loch Ness et met en scène un chien fantôme inspiré du Chien des Baskerville, le plus célèbre roman de Sherlock Holmes... On retrouve l'ambiance des films de la Hammer avec un manoir, de vieilles pierres humides, des toiles d'araignées, des fantômes vindicatifs mais aussi des emprunts à un épisode de "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" (castel De' Ath, première saison avec Emma Peel : passage sous-marin vers le loch, vierge de Nuremberg dissimulant un passage secret - le méchant connaît d'ailleurs la même fin tragique, lorsque le fond du sarcophage est bloqué et que le couvercle se referme !).
Enfin, le dernier épisode met en scène un nouvelle apparition de Scorpio qui se substitue à Nick Fury et tente de le faire abattre par ses propres amis. Dans cet épisode, Fury demande à son viel ami Pickman de tester les systèmes de sécurité du S.E.R.V.O., mission au cours de laquelle il sera frappé par une balle destinée à l'espion... Dans les dernières vignettes, Fury semble identifier le mystérieux Scorpio, répondant à la question qui ouvrait l'album... Mais le lecteur n'en saura pas davantage...
En dépît des maladresses (Steranko avait parfois des soucis avec les visages et l'anatomie) les aventures de Fury sont prenantes... L'auteur fait preuve d'une mise en page imaginative, cherchant des angles de vue et des effets originaux, et imagine des histoires qui ne sont pas exemptes d'une certaine cruauté. Dommage que les Humanos n'aient pas traduit davantage d'épisodes...
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