vendredi 15 avril 2022

Inspiration Bande Dessinée - American Flagg !

Parmi mes dernières lectures, je vous recommande American Flagg qui peut être une bonne source d'inspiration dans le veine d'oeuvre de type Judge Dredd ou Watchmen, mais pourtant, bien avant Watchmen justement ou encore Dark Knight Returns, loin de DC, chez l'indépendant First Comics (Cynosure) Howard Chaykin propose dès 1983 ce American Flagg, un comics au ton résolument adulte. Il égratigne sérieusement plusieurs mythes made in USA dans une dystopie visionnaire et par certains aspects encore d’actualité. Sexe, violence et addiction sont autant de mamelles d’American Flagg. Les éditions Urban Comics ont réuni les 12 premiers épisodes et les lecteurs français peuvent enfin découvrir cette œuvre mythique. L’histoire nous plonge en 2031, dans un monde anéanti. En 1996, une crise économique, sociale et sanitaire a entraîné des émeutes de la faim et des révolutions partout dans le monde. L’élite économique a composé un gouvernement mondial, le Plex. Les membres du Plex, qui est donc une union trans-pacifique formée par les dirigeants des Etats-Unis et de l'Union Soviétique associés avec les grands groupes du capital, ont décidé de quitter la Terre et d'installer le gouvernement sur Mars afin d'éviter de futures catastrophes et une éventuelle insurrection. Le territoire américain est organisé en centre commerciaux gigantesques, et les villes sont le théâtre de guerres civiles. Toutes les télécommunications sont contrôlées depuis la lune. Les chaînes de télévision produisent des programmes ultra-violents et interactifs, notamment "Bob Violence", une émission bourrée de messages subliminaux qui déchaîne la violence des gangs tous les soirs à 21h00. L’intrigue se déroule à Chicago, une ville ravagée dans laquelle débarque le personnage principal, Reuben Flagg, la star d’une série télé porno soft dont il a été viré pour être remplacé par un hologramme. Il arrive sur terre pour intégrer les forces de polices, les Plexus Rangers, qui portent des blousons en cuir, des bottes rouges et font usage d’électro-poings pour mettre les émeutiers KO. A mesure qu’il découvre l’atrocité qu’est devenue la vie sur terre, Flagg croise plusieurs personnages, dont deux femmes : Amanda "Mandy" Krieger, contrôleuse aérienne et fille du chef de la police, ainsi que Medea Blitz, fille du maire de Chicago, en couple avec Cyril Farid-Khan, le chef du gang des "guerriers génétiques". Ah oui, il y a aussi Raul, un chat qui parle. Dans American Flagg, des groupes armés sont financés par le gouvernement, les sports sont illégaux, ce qui pousse des chaînes de télévision pirates à diffuser des matchs de basket clandestins, la police tire avec des snowballs (boules de neige glacées qui envoient de la drogue), les affrontements entre les 75 gangs de Chicago sont retransmis en direct à la télé et font des cartons d’audience dans le monde, l’agriculture est automatisée et gérée par ordinateur, les habitants des villes sont répartis en communauté qui ont des revendications toutes plus étranges les unes que les autres, les gens sont fascinés par les armes et les américains sont présentés comme un peuple "d’ivrognes, de drogués et de dégénérés". On dit souvent des œuvres d’anticipation qu’elles sont "visionnaires", mais American Flagg mérite ce qualificatif.




Rarement cité, sauf des passionnés, American Flagg fait pourtant partie de ces œuvres novatrices et fondatrices qui ont inspiré directement ou indirectement un certain nombre d’artistes voire de cinéastes. Comme on peut le lire dans l’édito présent dans cette édition d’Urban Comics, on pense par exemple à Robocop ou encore au Transmetropolitan de Warren Ellis. Cet autre scénariste, également discuté pour ses rapports au sujet de la féminité, se déclare grand fan d'American Flagg et admet volontiers l'inspiration trouvée dans cette BD pour la conception de son chef d'oeuvre. On peut également faire des parallèles avec le travail d'Enki Bilal sur un même genre d'imaginaire, le Néo-Paris post-soviétique de Nikopol, ou encore avec Marshal Law de Pat Mills.

American Flagg n’a pas à rougir de la comparaison avec Watchmen ou Dark Knight Returns. L’œuvre est marquée par le contexte médiatique et culturel du début des années 80, elle démontre ce qui pourrait se passer dans un futur dystopique sécuritaire où les médias et les sociétés privées ont pris le pouvoir. C’est un prolongement possible de la situation politique, morale et économique des USA au début de cette décennie : Ronald Reagan est président des USA, les chaînes d’info en continu arrivent avec CNN en 1980, les clips et la puissance de l’image pour les ados avec MTV en 1981 et les blockbusters débarquent au cinéma. La lecture d’American Flagg est assez exigeante parce que Chaykin raconte plusieurs choses en même temps : les effets sonores sont intégrés au texte, des extraits d’émissions télé et de pubs viennent couper les dialogues, ce qui a d’ailleurs poussé l’auteur à donner un conseil aux lecteurs : il faut lire chaque épisode d’American Flagg une seule fois, mais il faut le lire lentement parce qu’en parallèle de l’action, l’arrière-plan permet d’aborder des problématiques sociales et politiques. Chaykin accentue fortement les travers de cette société montrant une violence accrue et une sexualité hors de tout contrôle. Il s'agit d'une certaine façon d'un versant US des délires SF et punk des anglais de 2000AD et du Judge Dredd, mais où surnage derrière l'action, les fusillades de gangs de mutants, les nombreuses parties de cabrioles avec des demoiselles toujours en lingeries fines et les destructions massives, une volonté constante de transmettre un message certes désespéré, certes très souvent ironique, mais profondément sincère sur la mythologie américaine. Bref une BD vraiment intéressante et graphiquement originale, tout ce que j'aime et plein d'idées pour certains contextes de mon Multivers qui se rapprochent de ce type de futur.


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