vendredi 19 mars 2021

Une petite réflexion sur les créatures peuplant l'OSR...

Après ma déferlante HOTT de ce début d'année et maintenant que j'ai trouvé ma vitesse de croisière pour mes bricolages dans ce cadre, je profite de mon temps libre pour revenir sur toutes une sérié de Post qui restaient dans mes brouillons depuis quelques mois. Suite aux dernières tables aléatoires publiées, voici pour changer une petite réflexion sur l'OSR, il y a longtemps que je n'en avais pas parlé.

Dans l'OSR, c'est indéniable, la qualité moyenne est incroyablement élevée. Pas nécessairement en termes de valeurs de production, mais de qualité des idées et de facilité d'utilisation du matériel. En parcourant de nombreux Blogs dédiés, j'ai passé beaucoup de temps à lire sur les serpents, les champignons, les singes et les grenouilles... Les rédacteurs de l'OSR adorent ces choses. Apemen, Hommes grenouilles et crapauds, Hommes serpents, Myconides... Une partie ne concerne que le matériel source, bien sûr. Une grande partie de l'écriture OSR consiste à repousser au-delà de Tolkien et de son héritage omniprésent d'elfes, de nains et de halfelins, afin de renouer avec la littérature fantastique pulp qui a proliféré dans les années d'avant guerre notamment. Face à la surabondance fantastique de Tolkien : Vance, Howard, Leiber, Lovecraft, Ashton Smith, etc... Howard aimait les hommes-singes, Lovecraft aimait les hommes-grenouilles, et tous deux aimaient les hommes-serpents, alors l'utilisation de telles créatures est devenue une sorte de signe de fidélité : en remplissant votre aventure d'hommes-grenouilles plutôt que d'orcs, vous signifiez votre allégeance aux traditions pré-Tolkien de Sword & Sorcery.




Mais je pense qu'il y a plus que ça :

Les monstres ne sont jamais que des monstres. Les monstres sont presque toujours des métaphores pour autre chose. Elfes, nains, orcs, halfelins, ogres... ce ne sont que des versions exagérées de vrais types humains. De même, les différents monstres de type "bête prédatrice géante", manticores, chimères, ours-hiboux... ne sont généralement que des mélanges de divers animaux du monde réel. La plupart des histoires sur les elfes et les nains, les ogres et les ours-hiboux pourraient tout aussi facilement être racontées sur un groupe social d'humains, hautains de la classe supérieure, bourru de la classe ouvrière, un troisième groupe de hors-la-loi ou voyous... et une variété de grands et dangereux animaux prédateurs de votre choix. La seule chose que le matériel fantastique vous permet d'ajouter est un sens exagéré de l'échelle.

Ainsi, "orc" est souvent une métaphore pour "personne violente désagréable qui, si elle est tuée, ne manquera probablement à personne" et "manticore" est généralement une métaphore pour "grand animal prédateur effrayant qui mange les gens", leur verni fantastique les rendant, entre autres, plus acceptables en tant que cibles de violence imaginaire, car de nombreux joueurs qui acceptent de massacrer des orcs et des chimères pourraient avoir des scrupules à faucher des adversaires humains et à exterminer la population d'ours locale. Puis il y a cet autre espace, cet espace au milieu, habité par des choses qui ne sont pas tout à fait humaines et qui ne sont pas tout à fait animales mais qui sont des combinaisons étranges des deux. Ce sont les types de créatures que les gens au début de la période moderne entendaient quand on parlait de "monstres", des êtres bizarres qui combinaient des attributs humains et non humains de manière bizarre et dérangeante. Et ce sont ceux qui intéressent beaucoup d'écrivains OSR.

Les reptiles, les insectes, les arachnides et les amphibiens sont beaucoup plus difficiles à anthropomorphiser que les mammifères, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles les créatures basées sur eux agissent si souvent comme les méchants des histoires dans lesquelles ils apparaissent (vous pouvez le faire, regardez les Teenage Mutant Ninja Turtles par exemple, mais cela implique souvent de réduire au minimum leurs traits "animaux"). Les hommes-serpents ou les hommes-araignées peuvent être utilisés comme métaphores pour des types de personnes, des méchants de sang-froid ou des meurtriers cachés, peut-être, mais c'est beaucoup plus exagéré. Les êtres humains font des tas de choses comme les loups par exemple : nous désignons notre territoire, nous nous disputons le statut de meute, nous travaillons ensemble pour résoudre des problèmes difficiles trop importants pour que chacun de nous puisse les gérer individuellement... Mais aucun humain ne se comporte comme une araignée. Dire que quelqu'un est un loup, c'est impliquer qu'il a exagéré un côté de sa personnalité, mais dire qu'il ressemble à une araignée, c'est impliquer qu'il y a quelque chose d'inhumain chez lui. Hommes-lézards, hommes-insectes, hommes-serpents, hommes-crapauds : ceux-ci représentent la fusion du familier avec le radicalement inhumain. Une vraie différence, la rencontre avec quelque chose qui, à un niveau très profond et fondamental, ne vous ressemble vraiment pas.

C'est je pense pourquoi, ils apparaissent tant dans les OSR. Parce que l'un des éléments cruciaux qui unit la plupart des OSR est le désir partagé de réinjecter une partie de l'étrangeté fantastique dans les jeux fantastiques. Différents auteurs OSR le font de différentes manières : certains ajoutent de la science-fiction, certains ajoutent de l'horreur, certains jouent la comédie absurde, certains déplacent les points de référence culturels de ceux avec lesquels leurs lecteurs sont probablement les plus familiers, certains essaient de revenir aux racines du genre dans les contes de fées et le folklore... Mais l'objectif de base est, je pense, généralement le même, à savoir la dé-familiarisation. Pour nous amener à regarder ces donjons, ces monstres et ces sorciers, ces choses qui sont devenues si usées par la sur-utilisation qu'elles ont perdu presque toute leur charge imaginative originale et pouvoir de nouveaux les considérer comme quelque chose d' étrange, d' excitant et de nouveau. Voir la descente dans le donjon non pas comme un exercice de routine d'abattage et d'acquisition de butin basé sur une grille, mais comme un voyage au-delà des champs que nous connaissons, loin du familier et dans un lieu qui fonctionne selon des règles très différentes.

Ainsi les hommes-grenouilles, les hommes-crapauds, les hommes-serpents et les hommes-lézards, ainsi les hommes-singes qui sont en fait plus difficiles à anthropomorphiser pour nous précisément parce qu'ils nous sont si proches, ainsi l'utilisation d'hommes-champignons au lieu d'hommes-arbres (les arbres peuvent être très humains, comme l'ont démontré les ents de Tolkien, mais les champignons appartiennent à un domaine beaucoup plus étrange, imaginez un champignon humain...). Des créatures dont les liens ne sont pas avec le monde quotidien des chats et des chiens, mais avec le temps profond, les époques évolutives antérieures, les biomes étranges et les classes inconnues de la vie biologique. Je soupçonne fortement que c'est la raison pour laquelle Howard les a utilisés, et je sais que c'est pourquoi Lovecraft les a utilisés : parce qu'ils évoquent l'idée de la vie existant de manière totalement étrangère, avec juste assez de similitude avec nous-mêmes pour être vraiment effrayant.




Et ceci, pour revenir enfin au début, est fondamentalement l'une des raisons pour laquelle j'aime le matériel OSR plus que le matériel de jeu fantastique traditionnel : son lot de bizarrerie, de choses qui ne seraient jamais publiées sous des formes plus traditionnelles parce qu'elles s'éloigneraient trop du marché cible. Bien sûr, je ne suggère pas qu'une aventure mettant en scène des hommes-grenouilles au lieu d'orcs serait si étrange qu'elle ne serait pas publiable : quatre décennies de modules D&D prouvent le contraire. Mais je pense que si l'on est le genre de personne qui se retrouve à remplir, par réflexe, ses aventures avec des myconides et des crapauds, en réécrivant les elfes pour qu'ils soient des hommes-plantes, les nains pour qu'ils soient des robots et les halfelins pour être des adorateurs de la mort pervers, c'est dans une tentative désespérée de sentir vraiment le bizarre à nouveau. Et je ne pense pas que ce soit un accident si tant de singes, de grenouilles et de champignons ont fini dans le cadre de l'OSR.

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