La série décrit un futur lointain, sur une terre polluée et hyper technologique, où la Muy-Tang Corporation, compagnie de robotique responsable d'une grande crise économique mondiale, semble tirer les ficelles de la vie des humains devenus « augmentés » de puces informatiques. Le héros: Verloc Nim, refuse ces apports technologiques, condamné à mener une existence de paria, isolé et en mauvaise santé. Il vit entouré de ses livres (des objets quasi-archéologiques), et s'occupe comme il peut de sa fille qui, conçue sans recours aux biotechnologies, semble légèrement autiste et n'a jamais parlé. Verloc Nim, s'abîme dans la drogue. Ruiné, quitté par sa femme et sa fille, déchu de ses droits parentaux, Nim est désespéré. Son frère Conrad, brillant ingénieur, touché par sa détresse, le convainc de l'accompagner pour une mission sur la planète Ona (Ji), où réside une vieille colonie de scientifiques abandonnée à elle-même, depuis plusieurs années… Un singe robot nommé Churchill joue les gardes du corps omnipotent. Intitulé L'Odeur de la poussière chaude, le premier tome débute au moment où le héros devenu amnésique reprend connaissance. Churchill, le singe robot, lui remet son carnet de bord et Verloc Nim replonge dans son passé… Les tomes suivant vont nous en apprendre plus sur l'étrange planète Ona (Ji) et sur le programme Aâma, expérimenté par la colonie scientifique...
Les trois premiers tomes d'Aâma sont conçus comme un flashback, racontant les événements survenus lors de la semaine très dense précédant le réveil amnésique près du singe. Un journal intime tenu sur un carnet permettait au héros de remonter le fil des événements. Quelques jours plus tôt, Verloc Nim partait avec son frère sur Ona(ji), une planète récemment découverte semblant correspondre à une Terre primitive. Le programme Woland, démarré cinq ans auparavant et laissé presque aussitôt à l'abandon en raison de la crise, avait pour mission de la coloniser pour y développer de façon accélérée la vie. Une solution miracle avait été conçue dans ce but : Aâma, nom de code d'une "soupe" miraculeuse de microcomposants électroniques, dont les millions de robots microscopiques s'avèrent capables de créer une entité intelligente capable de communiquer entre ses entités, telle une ruche ou une fourmilière. Répandue sur des organismes vivants, Aâma créé des créatures hybrides et mutantes à moitié organiques, à moitié robotiques.
Après avoir installé des personnages mystérieux, plantés dans un décor étrange et déstabilisant, l'intrigue de cette fascinante saga de science-fiction intimiste se ramifie de belle manière. Les auteurs mettent en scène une expédition qui s'aventure en terre inconnue.
Dans le dernier tome, qui fait le grand écart entre récit intimiste et événements aux dimensions cosmologiques, Peeters semble vouloir décrire sur un même plan la géographie du cerveau de son héros et celles de planètes inconnues. L'esprit de Verloc, mais aussi les transformations de son corps contaminé ouvrent des abîmes graphiques, et certaines pages d'Aâma sont les plus psychédéliques que l'on ait pu voir depuis certaines planches de Moebius ou de Druillet datant des années 1970. Aâma fait aussi écho au manga Akira (Katsuhiro Otomo), où la mutation du personnage principal en fait une sorte de demi-dieu tout-puissant aux yeux des autres, mais impuissant à gérer sa transformation intérieure.
Avec un graphisme virtuose et élégant dont il est coutumier, Peeters imagine un monde nouveau, avec sa faune et sa flore. Chaque planche regorge de trouvailles graphiques. Il y a quelque chose du western dans l'album. Le projet Aâma ayant échappé à ses créateurs, l'univers naissant qui se propage sur Ona (Ji) est-il bénéfique ou nuisible?
Suivant pas à pas les traces du héros, le lecteur va de surprise en surprise. Tantôt ébahi, tantôt terrifié, on accompagne les membres de cette expédition (toutefois protégée par le singe Churchill) avec une petite boule au ventre. En flashback, Verloc Nim raconte son histoire, et comment il a été séparé de sa fille, née naturellement, dans un monde où plus rien n'est plus naturel.
Naviguant avec aisance entre le récit intimiste (Pilules bleues), le polar documenté (R.G.) ou l'onirisme fantastique, qui baigne l'atmosphère de Pachyderme , l'auteur de Lupus réussit parfaitement à entraîner ses lecteurs au cœur d'une histoire de science-fiction. S'il revendique l'influence des films d'Andreï Tarkovski Stalker et Solaris, de Star Wars et Blade Runner, des frères Strougatski, auteurs de Stalker, et de l'écrivain Stanislas Lem, Peeters affirme avoir voulu s'inspirer d'autres genres que la science-fiction afin de créer une œuvre hybride. L'auteur décrit son style comme une fusion entre Hergé et Katsuhiro Ōtomo, et situe son graphisme entre Otomo et Edgar P. Jacobs.
"Est-ce que vous avez des influences littéraires ou cinématographiques qui ont construit votre univers de science fiction ?
D’un côté, il y a les influences graphiques recherchées, préméditées, pour construire la série. Je sais depuis le début que je n’irai jamais chercher dans la science fiction. Pour Lupus, pour dessiner un objet, je me servais de ce qu’il y avait sur mon bureau, c’était un défi. Tout n’était que cendrier et lampe. Puis j’ai migré dans la cuisine, donc il y a eu beaucoup de presse-agrumes, etc. Pour Aâma, je réfléchis à chaque objet. Le but, c’est de l’élaborer, en allant chercher les références ailleurs que dans la SF. Je n’ai jamais ouvert une BD ou regardé un film quand j’en avais besoin. Toutes les influences viennent d’ailleurs. Art contemporain, peinture, promenades en forêt, voyages, etc.
D’un autre côté, j’ai grandi avec la science fiction. Ça commence par Star Wars, bien sûr. Déjà, dans Star Wars, ce qui me passionnait, c’est quand Skywalker va rejoindre Ioda sur Dagoba. C’est mon passage préféré. Tout d’un coup, il sort, il est seul, dans l’espace, puis sur une planète qu’il ne connaît pas. Et puis il y a Alien bien sûr. Après, j’ai découvert les gens de l’Est. Les écrivains d’abord. Les frères Strougatski qui ont écrit Stalker. Stanislas Lem, un écrivain fabuleux. Et puis avec Blade Runner, j’ai compris que la beauté de la science fiction était à l’intérieur des personnages. Toutes ces voitures qui volent, c’est magnifique, mais on s’en fout.
Après il y a eu les Russes, Tarkovski avec les adaptations de Stalker et Solaris. J’ai compris que, en me faisant chier en regardant un truc pendant trois heures, parce que Dieu sait que c’est chiant, et bien il me restait pendant les mois qui suivaient des impressions extrêmement fortes. Ce sont des films qui ne sont pas aimables mais qui marquent au fer rouge. Contrairement à Star Wars, qu’on mange comme du pop corn. Il n’y a rien entre les lignes. Mais moi, mon ambition, ce n’est pas de faire du Tarkovski. C’est de faire Star Wars, mais que le lecteur soit autant marqué que par Solaris.
La symbiose entre les deux styles.
Oui. J’étais au Japon au printemps et on me demandait comment je définirais mon travail. Comme j’étais au Japon, j’ai dit que c’était une tentative de fusion entre Hergé et Otomo. (rires) Et c’est assez juste en fait. Graphiquement, c’est entre Jacobs et Otomo, c’est marrant."
Naviguant avec aisance entre le récit intimiste (Pilules bleues), le polar documenté (R.G.) ou l'onirisme fantastique, qui baigne l'atmosphère de Pachyderme , l'auteur de Lupus réussit parfaitement à entraîner ses lecteurs au cœur d'une histoire de science-fiction. S'il revendique l'influence des films d'Andreï Tarkovski Stalker et Solaris, de Star Wars et Blade Runner, des frères Strougatski, auteurs de Stalker, et de l'écrivain Stanislas Lem, Peeters affirme avoir voulu s'inspirer d'autres genres que la science-fiction afin de créer une œuvre hybride. L'auteur décrit son style comme une fusion entre Hergé et Katsuhiro Ōtomo, et situe son graphisme entre Otomo et Edgar P. Jacobs.
"Est-ce que vous avez des influences littéraires ou cinématographiques qui ont construit votre univers de science fiction ?
D’un côté, il y a les influences graphiques recherchées, préméditées, pour construire la série. Je sais depuis le début que je n’irai jamais chercher dans la science fiction. Pour Lupus, pour dessiner un objet, je me servais de ce qu’il y avait sur mon bureau, c’était un défi. Tout n’était que cendrier et lampe. Puis j’ai migré dans la cuisine, donc il y a eu beaucoup de presse-agrumes, etc. Pour Aâma, je réfléchis à chaque objet. Le but, c’est de l’élaborer, en allant chercher les références ailleurs que dans la SF. Je n’ai jamais ouvert une BD ou regardé un film quand j’en avais besoin. Toutes les influences viennent d’ailleurs. Art contemporain, peinture, promenades en forêt, voyages, etc.
D’un autre côté, j’ai grandi avec la science fiction. Ça commence par Star Wars, bien sûr. Déjà, dans Star Wars, ce qui me passionnait, c’est quand Skywalker va rejoindre Ioda sur Dagoba. C’est mon passage préféré. Tout d’un coup, il sort, il est seul, dans l’espace, puis sur une planète qu’il ne connaît pas. Et puis il y a Alien bien sûr. Après, j’ai découvert les gens de l’Est. Les écrivains d’abord. Les frères Strougatski qui ont écrit Stalker. Stanislas Lem, un écrivain fabuleux. Et puis avec Blade Runner, j’ai compris que la beauté de la science fiction était à l’intérieur des personnages. Toutes ces voitures qui volent, c’est magnifique, mais on s’en fout.
Après il y a eu les Russes, Tarkovski avec les adaptations de Stalker et Solaris. J’ai compris que, en me faisant chier en regardant un truc pendant trois heures, parce que Dieu sait que c’est chiant, et bien il me restait pendant les mois qui suivaient des impressions extrêmement fortes. Ce sont des films qui ne sont pas aimables mais qui marquent au fer rouge. Contrairement à Star Wars, qu’on mange comme du pop corn. Il n’y a rien entre les lignes. Mais moi, mon ambition, ce n’est pas de faire du Tarkovski. C’est de faire Star Wars, mais que le lecteur soit autant marqué que par Solaris.
La symbiose entre les deux styles.
Oui. J’étais au Japon au printemps et on me demandait comment je définirais mon travail. Comme j’étais au Japon, j’ai dit que c’était une tentative de fusion entre Hergé et Otomo. (rires) Et c’est assez juste en fait. Graphiquement, c’est entre Jacobs et Otomo, c’est marrant."
Mais attention, comme toujours, Frederik Peeters installe un genre pour mieux en détourner les codes. Aâma n'échappe pas à la règle. Peeters se sert de la science-fiction pour distiller ses visions apocalyptiques, ses peurs profondes, une sensualité latente, le tout enrobé de mystère et d'une dose d'humour, qui rend le tout passionnant.
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